Emile Savitry un photographe de Montparnasse

 

A la fin du printemps 1947, Emile Savitry grâce sans doute à son ami Jacques Prévert devient photographe de plateau du nouveau film de Marcel Carné : La Fleur de l’Age d’après un scénario de Prévert justement.
Sans le savoir il va immortaliser le tournage d’un film mythique car inachevé dont il ne reste aucune trace si ce n’est ses photographies.

L’année dernière nous avions justement mis en ligne quelques unes de ses photographies appartenant à la collection Carné-Lesaffre (à voir ici), l’occasion de voir notamment Arletty dans ce qui aurait dû être son grand retour au cinéma deux ans après Les Enfants du paradis mais aussi celle de découvrir ces images d’une toute jeune Anouk Aimée, ravissante, quelques mois après son premier film, La Maison sous la mer d’Henri Calef.

Anouk Aimée (Barbara) et son chat Tulipe. Elle a 15 ans.
C’est à Belle Ile que Prévert lui donne son nom –Aimée- « parce que tout le monde l’aimait ».
Elle l’adopte définitivement.
© Émile Savitry courtesy Sophie Malexis

 

Mais qui était vraiment Emile Savitry ?

Ce n’est que depuis quelques années que son oeuvre photographique émerge de l’obscurité et de l’anonymat grâce notamment à Sophie Malexis, l’ancienne rédactrice photo du quotidien Le Monde et de ses suppléments (Le Monde 2). Elle rencontre la femme d’Emile Savitry en 1989 à Paris, l’illustratrice pour enfants Elsa Henriquez (qui travailla beaucoup avec Prévert). Ce n’est que plus tard que celle-ci lui montrera des négatifs, planches contacts, tirages appartenant à son mari qui étaient rangés dans des boites depuis le décès de celui-ci en 1967.

Finalement ce n’est qu’en 2006 que le nom d’Emile Savitry va remonter à la surface avec la belle exposition à la BNF consacrée à la photographie humaniste 1945-1968. Sa place sera mineure, juste une photographie d’un chanteur des rues en 1952 mais c’est un début. On se souvient alors qu’il a fait partie de l’une des grandes agences photographiques de l’après-guerre, Rapho, dans laquelle on retrouvait entre autres Robert Doisneau et Willy Ronis qui feront partie du fameux Groupe des XV. Curieusement Emile Savitry n’en sera pas.

Puis en 2008, enfin, c’est à Vendôme dans le cadre de la manifestation Promenades photographiques que sont exposés pour la première fois des photographies d’Emile Savitry.

Sophie Malexis, qui est la commissaire de cette exposition, lui consacre alors un article dans Le Monde 2 daté du 06 juin 2008. Elle écrit :

« Au cœur de Montparnasse, face à l’Académie de la Grande Chaumière, se niche le souvenir d’un photographe oublié : Emile Savitry (1903-1967). Sa femme, Elsa Henriquez, et son fils Paco en sont les derniers gardiens.

Peintre d’abord, Emile Savitry, né Dupont à Saïgon en 1903, « avait plus d’une corde à son art », écrit Claude Roy en 1972 : « Peindre, photographier, voyager (ne rien faire). Mais ce qui ne l’intéressait pas c’était de réussir. » C’est peut-être pour cette raison que son œuvre est restée dans l’ombre. »

A lire ici et voir quelques photographies illustrant cet article.

Et cette année 2011, Sophie Malexis est à nouveau commissaire de la grande exposition rétrospective « Emile Savitry, Un photographe de Montparnasse » qui a débuté le 05 mai 2011 en Espagne à Valence au MuVIM (Museo Valenciano de la Ilustración y la Modernidad)  et se termine le 06 novembre 2011.

L’exposition se poursuivra en France du 26 novembre 2011 au 26 février 2012 au Musée de l’Abbaye Sainte Croix aux Sables d’Olonne.

Ainsi est paru aux 5 Continents Editions un magnifique catalogue bilingue espagnol-français qui est une parfaite introduction à l’oeuvre photographique d’Emile Savitry.

On découvre une série de photographies prises entre les années 30 jusqu’au années 50 ayant comme sujets autant des artistes comme Giacometti ou Colette que des inconnus comme cet « apache » et sa protégée immortalisés dans un bar de Pigalle en 1938 que l’on retrouve en couverture de l’affiche de l’exposition à Valence (voir ci-dessus).

Ceux qui ne connaissent que ces photographies de plateau pour le cinéma vont être surpris et se rendre compte qu’Emile Savitry est un grand photographe tout court que l’on peut sans conteste assimiler à ses amis photographes humanistes de l’Agence Rapho par exemple. Il suffit de voir ces photographies de Pigalle la nuit en 1939 pour un reportage paru dans Match en février 1939 ou ces réfugiés espagnols à Perpignan en 1939 rappelant le travail de Capa. Comme ses pairs, il a choisit de montrer sa vérité, privilégiant l’humain en s’aidant pour cela de son sens du cadre et de la lumière qu’il a sans doute hérité de son passé de peintre.

En effet, Emile Savitry a débuté en tant que peintre, ayant suivi d’abord les cours de l’école des beaux-arts de Valence. Il n’a pas 30 ans qu’il expose pour la première fois chez Léopold Zborowski, le grand marchand d’art de ces années là rue de seine à Paris en 1929. C’est immédiatement un grand succès et il se retrouve dans la mouvance surréaliste. Louis Aragon préfacera le catalogue de l’exposition. Mais plutôt que de continuer sur sa lancée, il va tout laisser tomber pour fuir à Tahiti en compagnie de son ami le peintre Georges Malkine et par un concours de circonstance se retrouve à travailler en tant que photographe à la documentation et aux repérages du film Tabou du réalisateur allemand Murnau (dont ce sera le dernier film). D’ailleurs si ces photographies ont subsisté on aimerait bien les voir…

Emile Savitry reviendra vite en France et c’est à Toulon qu’il va rencontrer « un petit ragouin du quartier de la Rode » qui fait la manche avec son frère en jouant de la guitare : Django Reinhardt. Cette rencontre sera décisive pour le guitariste manouche car Emile Savitry se prend d’amitié pour lui, le ramène à Paris, le loge avec toute sa famille chez lui à Montparnasse et lui fera découvrir les boites de jazz comme La Boîte à Matelot à Pigalle où il débutera. Ainsi dans le catalogue peut-on découvrir ces rares photographies comme celle d’un Django Reinhardt prenant la pose en 1933 ou celle en 1945 de la famille Reinhardt dans le salon d’Emile Savitry.

De 1932 à 1934, Emile Savitry sera assistant de Brassaï puis il va croiser la route de Jacques Prévert et photographiera en 1936 les répétitions de la pièce de Prévert Le Tableau des merveilles au grenier de la rue des Grands-Augustins chez Jean-Louis Barrault.

Pendant la guerre, il retrouvera Prévert à Tourrettes-sur-loup où celui-ci le fera engager comme photographe de plateau sur le film de Pierre Billon, Le Soleil a toujours raison (1941) dont Prévert était le scénariste.

Il va ainsi photographier quelques grands films sur lesquels Prévert travaillera comme Lumière d’été de Jean Gremillon en 1942 et Les Portes de la Nuit de Marcel Carné en 1946.

Scène de tournage des Portes de la nuit en 1946, film de Marcel Carné dans un décor d’Alexandre Trauner

© Émile Savitry courtesy Sophie Malexis

Pendant la guerre ces retrouvailles avec Prévert vont aussi être l’occasion pour le poète de commencer une collaboration avec la femme d’Emile SavitryElsa Henriquez. C’est ainsi qu’en janvier 1943 Prévert écrira en guise d’introduction à la première exposition d’Elsa Henriquez à Monaco son célèbre poème « Pour faire le portrait d’un oiseau ». Plus tard elle illustrera plusieurs recueils de Prévert dont Guignol et Contes pour enfants pas sages.

Pour en terminer avec l’amitié entre Prévert et Savitry, signalons que Prévert écrira un poème « Savitry est peintre » à l’occasion d’une exposition exceptionnelle à Antibes de 31 toiles d’Emile Savitry. Nous sommes en 1963, c’est l’année où Savitry abandonne la photographie pour se remettre à la peinture et boucler ainsi sa boucle. Il décédera 4 ans plus tard en 1967.

Il aura habité trente ans à Montparnasse, Boulevard Edgar Quinet, aura été le témoin de la grande épopée artistique du Paris de l’entre deux guerres et de l’après-guerre. On peut retrouver ses photographies dans de grands magazines (Match, Harper’s Bazaar, Le Jardin des modes, Vogue, Picture Post) mais il a aussi photographié de très beaux nus qui lui ont valu une certaine notoriété au Japon communiquant « le rare bonheur d’avoir capté l’instant fugitif où la lumière a joué sur un corps », écrit-il en 1957.

Il nous aura transmis par ses photographies un peu de sa vérité, celle d’un homme qui aimait trop la vie pour se laisser enfermer et préférer l’anonymat au risque de se faire oublier. Ainsi en 1976 la revue Le Photographe lui consacrait un numero sous le titre « Qui est Savitry ? ». C’était il y a 35 ans.

Espérons que cette année 2011 marquera vraiment le début de la renaissance de l’oeuvre photographie d’Emile Savitry et que cette exposition arrivera à Paris.

Laissons le dernier mot à Sophie Malexis dans sa préface au catalogue de cette exposition « Emile Savitry, Un photographe de Montparnasse » :

Surpris par la maladie, Emile Savitry, « ouvrier sans spécialité de la vie », selon la jolie formule de Claude Roy, la termine comme il l’avait commencée, en peintre « trop vivant pour se vouloir artiste ».

 

Liens

1 – le site officiel d’Emile Savitry avec de nombreuses photographies.

2 – le site de la galeriste Nathalie Bereau sur lequel vous pouvez acheter certaines photographies d’Emile Savitry.

Signalons que vous pouvez également les acheter en contactant le site officiel d’Emile Savitry par cette adresse.

Ces photographies sont vendues en tirages limités, réalisés sur papier baryté, et présentant le tampon du photographe.

Et pour finir, elles sont vendues également par la Galerie 51 à Anvers (Belgique).

3 – un rare tableau de 1930 d’Emile Savitry sur le site Artnet vendu en 2008 chez Artcurial.

4 – un article en anglais sur l’exposition au MuVIM de Valence sur le site La Lettre de la photographie.com.

5 – des photographies de l’exposition au MuVIM sur la page Flickr du musée.

6 – une rare photographie du tournage des Portes de la nuit sur le beau blog de Gaugericus.

7 – le site du MuVIM C/ Quevedo 10. 46001 Valencia

8 – celui du Musée de l’Abbaye Sainte-Croix. Rue de Verdun. 85100 Les Sables d’Olonne

Fiche Technique du catalogue

21 x 23 cm, 112 pages, 92 illustrations en bichromie, broché avec rabats, édition bilingue : français / espagnol/ 5 Continents Editions / 25 €

Video

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crédit : Une proposition de Sophie Malexis | Réalisation : Manuel Sigrist

le site du MUSÉE DE L’ÉLYSÉE LAUSANNE

 

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