LES VISITEURS DU SOIR: L’HYMNE A L’AMOUR (ressortie en copie neuve)

LES VISITEURS DU SOIR: L’HYMNE A L’AMOUR

Sorti le 5 décembre 1942, Les Visiteurs du soir fut le premier grand succès du cinéma français pendant l’Occupation et remporta le Grand Prix du Cinéma Français. Cet ovni cinématographique a su séduire le public par son fantastique, son sens du merveilleux et son message d’espoir: l’amour plus fort que la mort.

Restauré en 2K, le film ressort à nouveau pour fêter le 70°anniversaire de sa sortie.

Ainsi, Les Visiteurs du soir retrouve sa splendeur de l’époque, son magnifique Noir et Blanc et sa richesse sonore. Il y a fort à parier que vous n’avez jamais vu ce film dans une aussi belle copie, à moins de l’avoir vu en… 1942.

Les Visiteurs du soir, le cinquième film réalisé par Marcel Carné et écrit par Jacques Prévert et Pierre Laroche, a été réalisé pendant l’Occupation entre Nice (en zone libre) et Joinville-le-pont (zone occupée).

Jacques Prévert, réfugié en zone libre, avait d’abord travaillé avec le décorateur Alexandre Trauner sur une adaptation du Chat botté (d’après le conte de Perrault), transposé dans une époque médiévale imaginaire avec des décors stylisés, mais qui ne vit pas le jour.

Marcel Carné de son coté avait travaillé sur un projet avorté, Les Evadés de l’an 4000, qui aurait dû lui permettre de faire une première incursion dans le Fantastique et la Science-Fiction. Puis, il voulut adapter une pièce de théâtre, Juliette ou la clef des songes, dialogué par Jean Cocteau avec Jean Marais (projet onirique qu’il finira par tourner en 1951 avec Gérard Philipe).

C’est alors que Marcel Carné renoue avec son partenaire privilégié, Jacques Prévert.

Ils décident de réunir leurs sources moyenâgeuses et fantastiques dans Les Visiteurs du soir, situé en 1485 dont les décors évoquent Les Très riches heures du Duc de Berry (manuscrit enluminé du 15ème siècle). C’est grâce à l’un des grands producteur du cinéma français des années quarante (L’Eternel Retour, La Belle et la Bête), André Paulvé, que Marcel Carné put avoir les moyens de tourner cette ambitieuse légende, Les Visiteurs du soir.

Les Visiteurs du soir s’ancre dans la veine poétique si spécifique du fantastique français, qui est beaucoup plus orienté vers le romanesque, le poétique et le surnaturel que les tendances anglo-saxonnes (gothique) ou allemandes (horreur).

L’âge d’or du Fantastique français coïncide en grande partie avec l’Occupation allemande car l’évasion de la réalité permet d’éviter toute allusion contemporaine – et tout risque de censure.

Bien évidemment rien ne fut simple sur le tournage de ce film. La pellicule était rationnée, les tissus de mauvaise qualité – ce qui explique que Marcel Carné utilisa beaucoup de plans larges et peu de plans rapprochés pour éviter que le spectateur ne s’en rende compte (sur les scènes du banquet notamment). Les figurants étaient affamés au point que Marcel Carné raconte qu’un jour il se rendit compte qu’il ne restait que la croûte des miches de pain du banquet, les figurants ayant mangé la mie à l’intérieur ! Du coup Marcel Carné dû faire piquer au phénol les fruits…

Malgré tous ces problèmes, il ne renonça pas à son perfectionnisme légendaire. Ainsi par exemple, pour la scène finale tournée dans la campagne de Tourrettes-sur-loup, le ciel n’étant pas assez clair, il refusa de tourner jusqu’au lendemain lorsque des groupes électrogènes furent amenés avec des projecteurs pour obtenir l’éclairage désiré. Puis vint l’épisode du château. Ce château blanc fut décrié par certains pour sa blancheur trop éclatante. Or Marcel Carné se défendit en disant qu’à l’époque les châteaux étaient blancs puisqu’ils étaient neufs!

Et surtout le film se tourna au printemps/été 42 alors qu’en France l’étoile jaune était devenu obligatoire et que les rafles de juifs avaient débuté.

Or Marcel Carné et Jacques Prévert avaient embauché Alexandre Trauner et Joseph Kosma, tous deux juifs, qu’il fallut donc cacher et faire travailler dans la clandestinité. Alexandre Trauner collaborera donc avec Georges Wakhevitch qui s’occupa de toute la réalisation des décors. Quant à Joseph Kosma, la musique qu’il avait écrite ne semble pas avoir été retenu dans le film et c’est Maurice Thiriet qui en est le compositeur dont au moins deux des trois ballades du film (l’étendu de leur collaboration fait toujours débat parmi les spécialistes).

Les Visiteurs du soir bénéficièrent d’une distribution exceptionnelle.

C’est le premier grand rôle au cinéma d’Alain Cuny qui joue cet envoyé de Satan qui tombe amoureux et provoque le courroux du Diable joué par Jules Berry dans l’un des ses meilleurs rôles. Jules Berry, qui s’appelait Paufichet, avait pris le surnom de son père qu’on appelait “le président Berry” en hommage à Jean de Berry, le protecteur des arts à Poitiers du XIV°siècle, le même à qui on consacra le volume d’enluminures, Les Très Riches Heures du duc de Berry. Ça ne s’invente pas!

Pour compléter la distribution, Marie Déa a été choisie pour incarner Anne,  femme libre dont la pureté de son amour lui permettra de tenir tête au Diable. Puis, Arletty dont c’est le premier rôle qui lui permet de casser son image de titi parisien en devenant Dominique, figure androgyne énigmatique. Les Visiteurs du soir c’est aussi l’occasion de découvrir l’autre grand rôle du Lacenaire des Enfants du paradis : Marcel Herrand dans le rôle de Renaud. Et Fernand Ledoux, le Baron Hugues, déjà aperçu dans Remorques de Jean Grémillon dont le scénario était signé… Jacques Prévert.

C’est dans Les Visiteurs du soir que vous pouvez entendre le poème de Prévert : Démons et merveilles mis en musique par Maurice Thiriet et murmuré par Jacques Jansen qui double Alain Cuny. D’ailleurs si vous regardez bien, vous pourrez reconnaître le cinéaste Alain Resnais qui rit dans l’une des scènes du banquet ainsi que Simone Signoret (que l’on aperçoit également dans d’autres scènes). C’est également les débuts au cinéma d’un cinéaste italien qui de cette expérience dira : “regarder Carné qui possède à un point ahurissant le sens plastique de l’image fut pour moi un enseignement infiniment précieux”. Il s’agit de Michelangelo Antonioni.

A la sortie du film, le public s’enthousiasma pour cette belle histoire d’amour “propre à faire rêver les âmes simples” (cf. le Baron Hugues) et Les Visiteurs du soir devint l’un des plus grands succès de la guerre. La critique dans son ensemble fut à l’unisson à l’image d’un Roger Régent qui s’enthousiasmait de manière très emphatique : “Nous avons le sentiment de nous trouver en face de la Beauté et de la Grandeur à l’état pur, en face d’une oeuvre considérable qui arrête notre souffle et nous confond par sa simplicité grandiose”.

Si certains spectateurs voyaient dans la fin du film un hymne à la résistance contre les Nazis, Carné et Prévert s’en sont toujours défendu même si Prévert avait déjà écrit en 1936 en réaction contre Franco un poème que peu ont lu à l’époque, La Crosse en l’air : “Tout le monde l’entendait battre le coeur de la révolution, le coeur que rien ne pouvait empêcher de battre… que personne ne peut empêcher d’abattre… ceux qui veulent l’empêcher de battre, de se battre, de battre…

Néanmoins, ce serait une erreur de réduire ce film à une allégorie contre le nazisme. Cela serait passer à coté du thème principal du film, qui était le sous-titre du film sur l’affiche: une légende d’amour et de mort.

La beauté du film c’est d’avoir su donner vie à “un amour comme on en fait plus” selon la belle phrase qu’avait écrite Prévert sur son ébauche du scénario.  Les Visiteurs du soir se hisse ainsi au niveau des amours légendaires, les Héloise et Abélard, les Tristan & Yseult ou plus près de nous celui d’Alain Fournier dans Le Grand Meaulnes ou Maeterlinck (Pelléas et Mélisande). Bref, comme si un poème de Pétrarque ou de François Villon prenait chair devant nos yeux.

On a souvent classé les films de Marcel Carné avec Jacques Prévert dans le “réalisme poétique”. Les Visiteurs du soir serait bien mieux dans un “fantastique poétique” dont il est l’un des plus brillants représentants avec La Belle et la Bête de Jean Cocteau, sorti en 1946.

Philippe Morisson

Spécialiste de Marcel Carné (www.marcel-carne.com) et co-auteur avec NT Binh et Jean-Pierre Jeunet de “Carné Prévert Trauner : Les Magiciens du Cinéma” paru aux Arènes, octobre 2012.

Ressortie des Visiteurs du soir en copie neuve numérique à partir d’aujourd’hui en France

le site du distributeur Mission-Distribution.

la page que nous avions consacrée à la version restaurée des Visiteurs du soir disponible en DVD chez SNC/M6.

Signalons que le film est disponible en Blu-ray (Zone 1) aux USA chez Criterion.

les séances des Visiteurs du soir sur Allo-Ciné.

A PARIS

En DCP (copie numérique) 

au Le Brady Cinema & Théâtre : 39, bd de Strasbourg 75010 Paris 10e arrondissement. Métro Chateau-d’Eau.

au Cinéma Studio 28 : 10, rue Tholoze 75018 Paris 18e arrondissement. Métro Blanche, Abbesses

à L’Entrepot : 7-9, rue Francis-de-Pressense 75014 Paris 14e arrondissement. Métro Pernety

 

En 35mm (pellicule)

au Le Desperado (ex Action Ecoles) :  23, rue des Ecoles 75005 Paris 5e arrondissement. Métro Maubert-Mutualite, Jussieu.
Horaires : 14h 16h30 19h 21h30. 2 séances le 24 décembre: 14h & 16h30 et fermeture le 25 décembre.

 

BONUS EXCLUSIF

[vimeo width= »550″ height= »450″]https://vimeo.com/55199751[/vimeo]

Share

4 comments for “LES VISITEURS DU SOIR: L’HYMNE A L’AMOUR (ressortie en copie neuve)

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.