Articles autour des Visiteurs du soir parus dans l’hebdomadaire Ciné-mondial en 1942
Ciné-mondial n°53 daté du 28 août 1942 – Ciné-mondial n°44 daté du 26 juin 1942 – Ciné-mondial n°46 daté du 10 juillet 1942 – Ciné-mondial n°68 daté du 11 décembre 1942 – Ciné-mondial n°75 daté du 5 février 1943 – Ciné-mondial n°112 daté du 22 octobre 1943 – Ciné-mondial n°145/146 daté des 23 et 30 juin 1943 – Ciné-mondial n°4 daté du 29 août 1941
Cette sélection n’est évidemment pas exhaustive. Nous n’hésiterons pas à mettre à jour cette page lorsque nous trouverons d’autres articles dans Ciné-mondial.
Ciné-mondial « est une revue hebdomadaire éditée par les éditions Le Pont, propriété de l’ambassade d’Allemagne, fondée en août 1941, et consacrée au cinéma français et allemand de l’époque », nous apprend la fiche Wapedia, confirmée par celle de la cinémathèque de Toulouse. Le gérant en était Robert Muzard, qui fut condamné à la Libération à trois ans de prison pour avoir été le producteur du film de propagande Forces occultes. Notons qu’à la rédaction de Ciné-mondial on retrouve également la journaliste France Roche.
Toujours est-il que ces articles sont intéressants à plus d’un titre. Tout d’abord le n°53 est l’occasion pour le journaliste Jean Renald de nous montrer la personnalité de Marcel Carné sur ce tournage. On l’y voit « infatigable », d’une grande exigence pour ses acteurs connus comme pour les figurants, notant que ses films ont tous « des airs de capitales » et que « sur cinq films, il en a fait cinq excellents ».
Vous y lirez pourquoi la musique du film n’a pu être jouée sur des instruments d’époque (comme le souhaitait Carné), mais également la contribution de l’écrivain Albert Paraz par rapport à une polémique sur le véritable auteur des Visiteurs du soir (non, il ne s’agit pas de Prévert ! NDLR). Vous essaierez de comprendre si Danielle Darrieux était vraiment figurante sur le film et pourquoi Ciné-mondial cherchait un rapport entre Alain Cuny et le diable.– Tous droits réservés pour les photographies des articles suivants –
Ciné-mondial n°53 daté du 28 août 1942 –
Marcel Carné, un metteur en scène qui voit grand, mais dans son prochain film il n’y aura que 4 rôles et 3 décors
En studio, si on ne le voit pas toujours, non seulement il est petit, mais il a un pas rapide qui le transporte comme l’éclair – on l’entend. Marcel Carné est à la fois l’éclair et le tonnerre.
Il faut un sens de l’orientation très spécial pour le suivre, qui combine l’usage de la prescience et de l’ouïe. On le pressent au fond du décor ; quand on arrive, on l’entend de nouveau près de la caméra. Sa voix éclate : « Maquilleur ! » Le ton est impératif. C’est tout de suite qu’il faut surgir. Le maquilleur n’était peut-être allé chercher qu’une pincée de poudre. Son absence déclenche un accès de rage, une de ces colères froides qui n’empourprent pas le visage. Carné bondit à sa recherche vers les loges. Lui-même. S’il pouvait faire tout lui-même, il le ferait. Tout à l’heure, il avait changé de place deux tables de jeu… plus vite qu’un machiniste. Mais le maquilleur apparaît. La colère tombe.
(Photos Grono)
Il parle sèchement, rapidement, comme une mitraillette. Ses ordres sont brefs et clairs et pleuvent de toutes les couleurs sur son entourage, en tombée de confettis : la lumière, le décor, la police, la figuration, les vedettes, la scène, les accessoires, la projection d’hier, le tirage, tous les moindres détails qui comptent au cours de la production, sont autant de problèmes toujours présents dans sa mémoire, et qu’il traite à la seconde. Il vous écoute, vous répond, donne un conseil à droite, rectifie une erreur dite par son assistant à sa gauche, corrige l’ajustage d’un costume, consulte son chronomètre et le nombre de scènes qui restent, revient à vous, s’excuse, bondit au pied de la caméra où il aime s’accroupir et commence les répétitions. La seconde d’interview qu’il accorde n’est perdue ni pour lui ni pour vous.
Ce tourbillon cartésien entraîne, dans son mouvement créateur, tous ses collaborateurs.
– Il est infatigable, dira l’un d’eux, en se passant sa main sur le front.
(Photos Grono)
Oui, infatigable. Il ne reprend jamais son souffle, comme s’il n’avait pas de poumons. Si l’on ne se met pas à son rythme, pourquoi fait-on du cinéma ? Il est sans pitié pour ses vedettes. Il ne connaît pas Jules Berry, ni Arletty, ni Marie Déa, ni Fernand Ledoux, mais il reconnaît leur valeur et en use comme il veut. Leur titre de vedette ne freine pas ses impatiences faciles. Il est aussi impétueux devant eux que devant ses figurants. Mais s’il ne les considère pas comme des figurants, il n’est pas loin de considérer ses figurants comme des artistes. Il exige d’eux plus qu’un acte de présence, mais une participation intelligente, sensible à l’action.
(Photos Grono)
Il leur mâche la besogne, sans doute. Qu’on l’écoute. On dirait qu’il expédie un télégramme dont il aurait remplacé les « stop » par des « hein ? ». « Il vient derrière vous… hein ! vous l’entendez… hein. Vous vous retournez… hein. Vous êtes inquiets… hein ? » Et qu’on fasse bien ce qu’il a dit. Cet esprit, d’une précision mécanographique, est soutenu par une mémoire… toute cinématographique. Il enregistre tout. .
Ce n’est peut-être pas avec de telles facultés qu’on fait automatiquement un bon film. Le fait est, cependant, que sur cinq films, il en a fait cinq excellents, et que le sixième : Les Visiteurs du soir, en voie d’achèvement, connaît déjà une réputation élogieuse.
(Photos Grono)
Il a le sens du cinéma. Il voit grand, il s’entoure bien et il travaille. C’est le secret de sa réussite. Sa technique est sobre ; il n’est pas atteint comme on le dit de travelingo-manie.
Cependant, pris par le jeu de la création, il double facilement les pages de son scénario, le nombre de ses personnages et des décors, ses films ont tous des airs de capitales.
– Mon prochain, dit-il, comme s’il relevait un défi, je le ferai avec quatre personnages et trois décors.
Jean RENALD
(Photos Grono)
***
Pour un figurant, le cinéma est un moyen de se consacrer à la sculpture
Très grand, très digne, très seigneurial, dirions-nous, les cheveux longs et argentés, il tranchait singulièrement sur le reste de la figuration. Au reste, ce n’était pas un figurant, mais une des indispensables silhouettes dont on a besoin auprès des vedettes dans un film aux scènes importantes, et qui donnent à l’ambiance un caractère vivant, car la majorité des figurants sont des statues difficiles à déplacer…
Nous avions vu ce visage au profil de médaille dans bien d’autres films avant Les Visiteurs du soir, dans Le Voile bleu, L’Appel du bled, Hommage à Bizet et Montmartre-sur-Seine. Cet homme n’est pas un être ordinaire. On le remarque sur un plateau, on le remarque à la ville. Il est sculpteur et peintre et fait partie des Artistes français. Quand il a quitté le studio, il rentre à son atelier et se penche ou sur une toile, ou sur un plâtre, ou sur un bijou – il cisèle le bronze – ou sur quelque autre œuvre commencée.
Par-dessus le marché, il aime la musique et chante. M. Sarlande vient d’achever la plaque commémorative de Maurice Arnoux, le grand pilote français, mort en plein ciel de gloire, qui sera bientôt inaugurée à Chamarande, petit village de la Marne dont il était le maire.
Sarlande aime le cinéma. Il en fait. Peut-être sera-t-il, un jour, happé par le cinéma comme une proie, mais jamais, promet-il, il n’abandonnera sa sculpture et sa peinture.
(Ph. N. de Morgoli)
Ciné-mondial n°75 daté du 5 février 1943
À propos des Visiteurs du soir, notre collaborateur Louis Guibert rapportait une conversation interceptée qui lui faisait élever un doute sur la véritable paternité du diable.
Nous recevons à ce sujet une lettre de M. Albert Paraz, l’auteur du très beau livre Le Roi tout nu et l’un de ceux qui peut à juste titre se réclamer du diable. Au demeurant voici son point de vue, qui n’est nullement diabolique mais très amicalement confraternel à l’égard de Prévert :
Monsieur le rédacteur en chef,
J’ai eu connaissance du petit article de votre collaborateur Louis Guibert intitulé : Quel est le véritable auteur des Visiteurs du soir ?
Je ne veux pas envenimer une querelle en insistant, en rectifiant, en racontant exactement ce qui s’est passé. Je vous demanderai seulement de préciser que je ne suis absolument pour rien dans cette information. Je ne suis jamais venu vous voir et je ne connais pas votre rédacteur, qui a vraiment commis une indiscrétion, qui a rapporté une conversation surprise, sans doute au café de Flore, et naturellement l’a rapportée de travers.
Au contraire, c’est moi qui soutenais à un ami, que le film de Brévert (sic. NDLR) n’avait que peu de rapports avec ma pièce et que l’idée de faire pénétrer le diable dans un château n’est pas brevetable.
À ce propos, je vous signale que votre article m’a été communiqué par un épicier devenu directeur de théâtres et qui m’a dit :
– Je n’ai pas lu votre pièce, mais je vous la rends !
– ???
– Si vraiment, comme je le vois sur Ciné-mondial, elle ressemble aux Visiteurs du soir, elle ne fera pas un sou…
Alain Cuny a-t-il des rapports avec le diable ?
On sonne chez Cuny. La porte s’ouvre sur un désordre apocalyptique. Bouquins et disques gisent au milieu de la pièce, dessins (Cuny est un peintre de talent) et photos s’étalent, un violon voisine avec une roue de bicyclette. Enfin, sur la table, une splendide chouette. Et un coupe-papier ciselé d’une tête de chouette…
(Photos Le Studio)
Cuny va à son chevalet. Une feuille blanche y est posée. Aussitôt surgit sur la feuille un visage dessiné au fusain. Vous regardez autour de vous. Vous découvrez une gravure représentant une scène du Faust de Goethe. Ici, sur le dos d’une chaise, une cinquantaine de cravates s’enroulent comme des serpents.
Maintenant, prenant sa chouette sous le bras et un bougeoir sous l’autre, Cuny nous entraîne à travers de longs couloirs emplis de monde. Cela dure près d’une demi-heure. Puis nous revenons à l’air libre.
Et notre mystérieux guide nous ouvre toutes grandes les portes d’un spacieux appartement complètement vide. Le salon est d’un beau rouge, couleur infernale.
(Photos Le Studio)
Dans l’une des pièces, Cuny, armé d’un flambeau, examine la glace. Vous savez que pour appeler le diable on doit se regarder dans un miroir à minuit. Or, bien qu’il soit cinq heures de l’après-midi, le réveil marquait minuit…
Enfin, sous le prétexte qu’il faisait froid, Cuny s’est mis à jouer avec le feu. Jeu diabolique.
Nous avons surpris Cuny dans son studio au milieu des préparatifs d’un déménagement très proche.
Le long couloir n’était que le métro.
Quant à l’appartement aux murs rouges, c’est son nouveau logis.
Tout simplement…
Simone MOHY
(Photos Le Studio)
Ciné-mondial n°44 daté du 26 juin 1942
Huit musiciens sans instruments
La chasse à l’instrument de musique est aussi riche en incidents que la chasse aux canards.
Lorsque Marcel Carné dut armer un orchestre de huit musiciens d’instruments authentiquement moyenâgeux – le fabliau des Visiteurs du soir se passant au XVe siècle – il eut toutes les peines du monde à en trouver à Paris.
Sa première idée fut d’aller au Conservatoire de musique. Marie Déa et Alain Cuny l’accompagnaient par curiosité, car le musée du Conservatoire possède une collection complète d’instruments anciens d’une grande valeur. Les trois visiteurs les passèrent en revue. Leur choix fut bientôt arrêté.
– Vous voulez bien me les prêter quelques jours, demanda Marcel Carné à M. Cl. Delvincourt.
– Oui, si toutefois les Beaux-Arts l’autorisent.
Or les Beaux-Arts, qui estiment sans doute que le septième art est un art de trop, estimèrent que le film qui reconstituait un château d’époque sur la Côte d’Azur pouvait aussi bien se faire faire des instruments de musique sur mesure, et refusèrent… Ces messieurs des Beaux-Arts ne couraient cependant aucun risque puisque Les Visiteurs du soir sont assurés pour dix millions de francs.
Que faire ?
Maurice Thiriet, le compositeur de la musique du film, apporta la solution. Il rendit visite à la vicomtesse de Chambure, à Neuilly, qui, avant guerre, dirigeait la Société de musique d’autrefois, et possède une très belle collection d’instruments de tous les temps. Très compréhensive et amie des arts, Mme de Chambure accueillit favorablement la demande de Marcel Carné et lui prêta un hautbois médiéval, une viole médiévale, une harpe du XVe siècle, un tambourin avec galoubet (sorte de flûte dont on se sert encore de nos jours à Arles et à Nîmes), une mandore, un luth et une de ces fines trompettes, très allongées, au son si pur.
C’était une véritable fortune.
Et dire qu’elle n’a été exposée au feu des sunlights que pour les yeux, car on n’entendra pas un son de ces instruments. Pour une raison technique : le micro, trop sensible, ne peut pas enregistrer convenablement leurs sonorités… Mais on remplace très facilement la viole par l’alto. Et l’on prêtera à M. Thiriet, pour l’enregistrement de sa musique, une harpe spéciale qui sert uniquement pour l’exécution des Maîtres Chanteurs.
Maurice Thiriet est un excellent compositeur. Il a porté tous ses soins à la recherche de complaintes musicales du XVe siècle. Mais qu’il nous permette de lui dire gentiment qu’il a tort de nous les transmettre en majeur… alors qu’elles ont été écrites en mineur. Travaillant avec M. Carné, il devrait avoir le même souci de l’exactitude historique.
C’est bien dommage, avouons-le…
J. R.
Ciné-mondial n°46 daté du 10 juillet 1942
LES VISITEURS DU SOIR dansent pendant cinq jours
On danse depuis cinq jours au château. Un véritable marathon du Moyen Âge. Les couples épuisés, qui n’ont pas le droit de s’asseoir entre les scènes, s’appuient dos à dos.
Marie Déa et Marcel Herrand, au premier plan, montrent la plus grande patience. Lui, taillé en athlète, fiancé inconstant, abandonne facilement sa compagne pour faire les cent pas. Elle, les jambes lourdes de fatigue, sautille, détend ses articulations, se livre à de petits exercices d’une rythmique délassante. Car il n’y a rien de tel que le mouvement pour se reposer de l’immobilité.
(Ph. N. de Morgoli)
Danser, même une pavane, ne signifie pas, dans un studio, se donner du mouvement. C’est, sur huit heures, marquer le pas pendant cinq. On ne meut pas aussi facilement qu’on le pense quatorze couples de danseurs, qui ne sont pas des danseurs… professionnels et qui, il y a dix jours, n’avaient pas le moindre soupçon de ce que pouvait être une pavane… et encore moins… une pavane du XVe siècle dansée à la mode du XVIe.
C’est comme si l’on s’amusait à danser un quadrille en swing.
(Ph. N. de Morgoli)
Mais ce qui nous paraîtrait ridicule pour des danses que nous connaissons, tout au moins de vue, ne l’est pas du tout pour celles qui ont cinq cents ans. Au XVe siècle, on dansait en rond, en se donnant la main. Au XVIe, on commençait à former des couples.
Pour Marcel Carné, ce progrès offrait de gros avantages de mise en scène. On l’excusera. Devait-il sacrifier une partie de son film pour ce que j’appellerai (que les érudits m’excusent) une bagatelle ?
J. R.
Danièle Darrieux, figurante ?
On danse. Mais le diable Jules Berry a envoyé ses suppôts : Alain Cuny et Arletty. C’est à Marie Déa qu’en veut Alain Cuny. Il y a de l’amour en perspective. Arletty, elle, s’en prend à Herrand.
On danse, mais les suppôts de Satan ont quelques diableries à accomplir. Soudain, les quatorze couples s’immobilisent ; ils sont pétrifiés, changés en statues de chair. Les musiciens aussi, les comédiens laissent leurs dents plantées dans la viande qu’ils dévoraient ; dans les dépendances du château, même immobilité, même silence… Et voilà qu’Arletty vient détacher Herrand de Marie Déa et l’emmène.
Cette scène d’immobilité n’a pas été tournée sans incidents.
Le lévrier du châtelain, Ledoux, au moment où il fallait conserver la plus grande immobilité, s’est mis dans la tête de passer sous une table. Voilà bien une idée de chien. Retenu par sa laisse, il a fait de multiples tentatives et un bruit terrible. Il a fallu l’expulser du studio.
Quelques instants après, à la reprise de la même scène, c’est une figurante qui éclate de rire. Fureur de Marcel Carné. On reprend.
Cette fois, ce n’est plus la figurante qui est prise de fou rire, c’est Marie Déa.
– Recommençons pour Marie, dit Carné avec impatience.
Au premier rang des danseurs, voilà que nous reconnaissons Danielle Darrieux, une Danielle Darrieux en gente dame, avec son plus beau sourire. Mais ce n’est qu’une figurante.
Surtout qu’on ne lui parle pas de sa ressemblance, elle s’affecte de passer pour une simple Danielle Darrieux.
(Ph. N. de Morgoli)
J. R.
Ciné-mondial n°112 daté du 22 octobre 1943
C’EST LE PLUS PETIT METTEUR EN SCÈNE QUI a tourné le plus GRAND FILM
Sait-on que le grand regret d’Alain Cuny est de n’avoir pas interprété lui-même les chansons douces et tristes qu’écoutent Marie Déa, Fernand Ledoux et Marcel Herrand dans Les Visiteurs du soir ?
En réalité, les chansons avaient été bel et bien enregistrées par lui, mais il avait commis quelques fautes d’harmonie et Marcel Carné, désireux d’une totale perfection, engagea le ténor Jacques Jansen en le priant de chanter exactement de la même manière qu’Alain Cuny et de se contenter de corriger les quelques fautes d’harmonie commises par l’acteur.
Le ténor accepta et Jacques Jansen enregistra, un casque d’écoute aux oreilles, non seulement suivant mais calquant sa voix sur celle d’Alain Cuny.
C’est là un bel exemple d’humilité qu’ont donné ces deux artistes, l’un en renonçant à son enregistrement qui, aux dires de l’ingénieur du son, était, malgré quelques petites imperfections, très satisfaisant, l’autre en renonçant aux brillants effets que sa voix pouvait lui permettre.
Autour du meilleur film de l’année par Pierre Heuzé
C’est le privilège des œuvres fortes de susciter dès leur apparition des remous contradictoires. Dans un cinéma de guerre aux expressions limitées, Les Visiteurs du soir, que les critiques réunis sous les auspices de Ciné-mondial viennent de déclarer le meilleur film de l’année, sont comme un témoignage de la persistance de la Beauté.
En effet, on peut discuter l’histoire, trouver dans son thème l’affirmation de l’amour ou au contraire sa plus complète négation, il n’en reste pas moins que les images, une fois que nous les avons reçues, persistent dans nos regards. Nous n’avons qu’à faire un peu de recueillement en nous pour aussitôt retrouver cette cour pour ménestrels tout à coup en mouvement, puis subitement figée par l’enchantement, et dans cette même scène, pareillement, notre ouïe reste impressionnée par la musique qui se dérègle alors avec l’arrachement d’un cœur que frappe une embolie…
Il y a aussi cette vision qui nous hante d’un couple miré dans l’eau d’une fontaine et qui suscite des réminiscences fluidiques de Debussy… Et surtout, la dernière image demeure obsédante avec ces amants qui, pour ne point s’échapper, telles ces métamorphoses mythologiques, doivent pour éterniser leur amour subir dans leur chair et jusque dans leur sang le supplice sans issue de la pétrification.
Les Visiteurs du soir resteront en nous comme un élan, comme une évasion, comme la revanche de la poésie pure.
Ils nous prouvent qu’un écran peut être une sortie de secours ; et, dans un temps où nous avons perdu la notion de l’espace, trop assujetti à l’immédiat, trop dépendant de notre désarroi spirituel, ils nous réorientent en quelque sorte, en nous montrant que la Beauté sillonne et embaume les nuits les plus désespérées comme une chevelure de Bérénice.
En couronnant ce film d’une haute inspiration, la critique n’a pas failli à sa mission qui est moins de dénigrer que de guider. D’autres films sont, sans aucun doute, plus près du public, mais aucun ne laisse, même si on ne le goûte qu’imparfaitement en tant qu’aventure, un plus lumineux sillage dans l’esprit. Ce sera le grand mérite de M. André Paulvé d’avoir accordé une chance aussi complète à Marcel Carné en une époque où, dans tous les domaines, les hésitations, les tâtonnements, les bredouillements, voire les impuissances, sont la conséquence presque fatale de la chute d’une société qui s’était pensée grande et qui n’était que digestive.
Il serait injuste de ne pas mentionner à côté des Visiteurs du soir le beau film de Jacques Becker : Goupi Mains rouges, cette solide étude de paysans français. C’est à une voix qu’il a succombé et il méritait, dans un autre genre, de l’emporter. La lutte s’étant circonscrite autour de ces deux œuvres, Pontcarral, qui s’avère cependant comme une des œuvres les plus denses de cette année, n’a pu être mentionné ; pour notre part, nous en exprimons le regret, car nous ne sommes pas des critiques qui regimbons ou nous indignons dès qu’on nous présente un film qui exprime quelque noble sentiment ou quelque idée généreuse, un film à panache pour tout dire.
Les ruines nous émeuvent, mais nous ne sommes pas systématiquement pour les décombres, au contraire.
Un cœur qui bat dans la pierre peut être une œuvre d’art, et certes Les Visiteurs du soir l’ont prouvé, mais quand une œuvre d’art fait battre tous les cœurs, nos cœurs d’hommes, de Français, est-ce qu’elle ne porte pas en elle la plus magnifique des forces créatrices ?
Ciné-mondial n°68 daté du 11 décembre 1942
Ciné-mondial n°4 daté du 29 août 1941
Ciné-mondial n°145/146 daté du 23 et 30 juin 1943
Visiblement mon premier message est passé. J’ai été fort interéssée par cette longue page sur « les visiteurs du soir ». Je suis la Fille de Maurice Thiriet, et ai la chance de détenir le découpage de la musique du film, manuscrit du compositeur. Quant à aux complaintes écrites en majeur, ce choix relève de l’ingéniosité du compositeur, qui sait nous surprendre. Ces complaintes en 2011, voyagent encore autour du Monde!!! Et si l’on a une oreille attentive on constatera que Thiriet passe du mode mineur au mode majeur au cours du générique, entre autres, pour amener, comme sur un « plateau » les ballades ». Ces ballades ont été injustement attribuées à la musique de Joseph Kosma. Un procès verbal a permis de
reconnaître que Maurice Thiriet est l’unique compositeur de la musique de ce film . La SACEM et moi-même le confirmons. C’est pourquoi je cherche à faire des modifications sur tous les sites, afin que les auditeurs n’aient plus de méprises. Encore merci pour vos fiches techniques. cordialement Elizabeth.