La collaboration entre Maurice Thiriet et Joseph Kosma sous l’Occupation
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Publiée le 17 février 2013.
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– MIS A JOUR LE 25 JANVIER 2015 –
Presque deux ans après avoir mis en ligne cet article, nous pouvons donc affirmer que nous avions raison sur l’une des chansons (Démons et Merveilles) attribué (à tort) à Joseph Kosma pour Les Visiteurs du soir.
En effet, la preuve était à disposition de qui voulait se donner la peine de chercher à Nice dans les archives de Joseph Kosma depuis (sans aucun doute) de nombreuses années.
Dans l’inventaire qui en a été fait par Gérard Pellier, l’archiviste de Joseph Kosma, en 1993 puis revu et corrigé en 1998, on trouve à la page 3 cet ajout manuscrit qui spécifie sans aucune ambiguïté la mention d’une chanson inédite de Joseph Kosma intitulé Sables Mouvants sur le texte de Jacques Prévert qui lui s’appelle Démons et Merveilles.
Ainsi, la musique de la chanson Démons et Merveilles que l’on entend dans le film est bien de Maurice Thiriet.
CQFD
Cette trouvaille vient confirmer nos suppositions à la suite d’une lettre de Maurice Thiriet à André Paulvé (cf notre Chapitre 10) qui figure dans le fonds d’André Heinrich, le spécialiste de Jacques Prévert décédé en septembre 2014.
A noter que Gérard Pellier ne mentionne pas d’autres morceaux de Joseph Kosma pour Les Visiteurs du soir.
Demeure cette interrogation, Pourquoi Joseph Kosma a-t-il refusé d’admettre que le morceau qu’il avait composé pour Les Visiteurs du soir n’était pas celui que l’on entend dans le film ? Pourquoi s’est-il opposé si violemment à son confrère Maurice Thiriet à ce sujet ? Finalement pourquoi Marcel Carné, lui-même, a nié dans son autobiographie ce fait ?
Nous ne le saurons sans doute jamais.
p.s
Tous nos remerciements à Anne Remlinger qui a mis la main sur cet inventaire à Nice.
Rappelons que c’est le CRR (Conservatoire à Rayonnement Régional) de Nice qui est le légataire universel des droits d’auteur de Joseph Kosma depuis 1974 (et détient à ce titre une partie de ses archives, l’autre se trouvant à la Médiathèque Malher à Paris).
Gérard Pellier est décédé le 09 août 2010. Sa femme Agnès a pris la relève.
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Avant les recherches que nous avons entreprises et qui sont à l’origine de cet article, nous savions peu de choses sur la collaboration entre Maurice Thiriet et Joseph Kosma sous l’Occupation pour les deux films emblématiques de Marcel Carné avec Jacques Prévert, Les Visiteurs du soir et Les Enfants du paradis.
C’est d’autant plus malheureux que les deux compositeurs se sont déchirés à la fin de la guerre pour la paternité des musiques de ces deux films si bien qu’en 2013, cette histoire n’est toujours pas réglée définitivement.
Il faut dire aussi qu’aucun chercheur, aucun critique ne s’est intéressé à cette histoire lorsque les protagonistes de cette regrettable histoire étaient vivants.
Aussi il nous faut accepter l’idée que certaines questions demeureront sans réponses.
Par contre, cet article va permettre de corriger certains éléments importants qui posent toujours problème… enfin pour ceux qui ne se sont pas donné la peine de chercher à la Médiathèque Malher à Paris (où se trouvent les archives de Joseph Kosma) et à L’Association Maurice Thiriet Compositeur dirigé par Elisabeth, la fille de Maurice Thiriet.
En effet, nos recherches récentes prouvent que :
1 – Maurice Thiriet n’a jamais été le prête-nom ou un nom d’emprunt de Joseph Kosma contrairement à ce qu’écrivait récemment Laure Schnapper, une musicologue universitaire en 2008. (voir ci-dessous)
2 – Georges Mouqué n’a jamais été le pseudonyme de Joseph Kosma mais son véritable prête-nom, Georges Mouqué ayant bel et bien existé (cf le site de Claude Torrès).
3 – Joseph Kosma n’a (semble-t-il) pas composé les deux ballades des Visiteurs du soir contrairement à ce que j’ai pu moi-même affirmer sur le bonus de l’édition DVD des Visiteurs du soir (SNC/M6), étant induit en erreur par ce qu’a écrit Marcel Carné.
Nous vous expliquerons pourquoi ci-dessous.
Partition des Enfants du Paradis Première Epoque composé par Maurice Thiriet et Georges Mouqué (Joseph Kosma). (c) Médiathèque Malher / Cinémathèque Française
Quelque soit l’admiration que nous portons à Joseph Kosma, nous pensons qu’il est de notre devoir de rétablir la vérité des faits. Nous ne voulons pas prendre partie en faveur de l’un ou l’autre.
Il est évident qu’ils étaient tous les deux des grands compositeurs. Mais le fruit de nos recherches nous amène à penser que l’apport de l’un a été minimisé par rapport à l’autre. Il nous parait donc important d’apporter des éléments de réponses concernant deux films emblématiques du cinéma français pendant l’Occupation.
Cet article est long car il nous faut rentrer dans les détails tout en essayant de ne pas vous perdre dans les méandres de cette histoire complexe.
Par souci de clarté, nous vous présentons ces chapitres par ordre chronologique en commençant d’abord par vous situer qui étaient Joseph Kosma et Maurice Thiriet au moment de leur collaboration puis ce qu’en dit Marcel Carné dans ses mémoires qui est repris par de nombreux spécialistes et journalistes.
Bien entendu nous n’hésiterons pas à l’avenir à mettre à jour cette page si de nouvelles preuves apparaissaient.
Vous pouvez nous apportez votre témoignage ou vos réflexions à travers les commentaires de cet article.
A suivre…
Philippe Morisson
p.s
Pour ceux qui s’étonneraient de nous voir reproduire plus de documents d’archives de Maurice Thiriet que de Joseph Kosma, la réponse est toute simple : c’est uniquement une question juridique qui nous en empêche. Mais que les spécialistes se rassurent, il leur suffit de se rendre à la Médiathèque Malher à Paris où ces documents les attendent depuis de nombreuses années…
Nous remercions d’ailleurs L’Association Maurice Thiriet Compositeur de nous avoir autorisé à reproduire leurs documents.
Pour le quarantième anniversaire de la mort de Maurice Thiriet le 28 septembre 2012, nous avions consacré une page à sa partition manuscrite pour Les Enfants du paradis, à voir ici.
TABLE DES MATIERES
1 – Exemples d’articles récents trompeurs.
2 – Qui étaient Maurice Thiriet et Joseph Kosma à l’époque des faits ? (avant 1945).
3 – Ce que dit Marcel Carné dans son autobiographie Ma Vie à belles dents (ed.L’Archipel. 1996).
4 – La Version de Sables Mouvants (Démons et merveilles) par Agnès Capri en 1941 à Radio Zone Sud.
5 – L’Arbitrage du 13 Janvier 1945 de la SACEM.
6 – La Mise au point daté du 19 octobre 1946 entre Thiriet et Kosma en présence de Jacques Enoch.
7 – La Lettre de Maurice Thiriet à Joseph Kosma le 20 octobre 1946.
8 – La Version de Maurice Thiriet (lettre du 15 mars 1948 à Joseph Kosma)
9 – La Version de Joseph Kosma (lettre à la SACEM de 1951).
10 – La Lettre de Maurice Thiriet à André Paulvé daté du 24 mars 1942 (Fonds André Heinrich)
La partition de Maurice Thiriet pour la ballade Démons et Merveilles des Visiteurs du soir inspiré de son thème intitulé Brumes au Soir – (c) Association Maurice Thiriet Compositeur.
1 – Exemples d’articles récents trompeurs.
Commençons d’abord par ces quelques extraits d’articles récents car ils sont révélateurs.
Ils continuent à induire en erreur les personnes intéressées par ce sujet et surtout persistent à propager un mensonge qui de la part d’universitaires ou de journalistes pose un vrai problème de fond : qui croire ?
1 – “Le magot de la chanson” de Patrick Bonazza dans “Le Point”, 10/01/2003
En 1943, Prévert prépare « Les enfants du paradis ». Caché dans une auberge isolée, son complice écrit la partition de la pantomime. Ne pouvant la signer, il utilise deux prête-noms, Georges Mouque, musicien suisse, et Maurice Thiriet, compositeur français. […] Le 13 janvier 1945, un arbitrage est rendu au Conservatoire national de musique, à Paris. […] Par chance, [Kosma] est accompagné de Jacques Prévert et Marcel Carné. Le jury a écouté les témoignages de l’écrivain et du cinéaste, tous deux validant sans la moindre hésitation les affirmations de Kosma sur la paternité de l’oeuvre. Pourtant, il conclut que la partition du film « Les enfants du paradis » est due pour sa majeure partie à la plume de Maurice Thiriet. […] Ce n’est que grâce au dépôt de son oeuvre à la Suisa, dont l’attestation parviendra à Paris après janvier 1945, que Joseph Kosma sera pour finir rétabli dans ses droits ! Pas rancunier, et satisfait d’avoir obtenu une réhabilitation « morale », il abandonne sa part des redevances sur la musique des « Enfants du paradis » à la SACEM pour qu’elle les affecte à son Comité du coeur, une instance de solidarité pour les sociétaires en difficulté.
Lire l’article dans sa totalité sur le site du Point.
Comme nous le verrons ci-dessous, cet article sous-entend que l’un des « prête-nom » de Kosma, Maurice Thiriet, s’est attribué à la libération la majeure partie de la partition des Enfants du paradis. Or les faits sont beaucoup plus complexes. Tout d’abord Thiriet n’a jamais été le prête-nom de Kosma au contraire de Mouqué. Surtout dès la sortie du film en mars 1945, les droits sont partagés à 50/50 entre Mouqué et Thiriet et c’est plutôt Kosma avec la création de son ballet Baptiste en octobre 1946 qui a cherché à s’attribuer la paternité de cette musique.
De plus, la fin de l’article est pour le moins expéditive. Nous verrons pourquoi tout à l’heure.
2 – Michel Trihoreau, “La Chanson de Prévert”, Éditions du Petit véhicule, 2006, page 129
« Kosma compose, comme d’habitude, une mélodie au piano, pour « Le tendre et dangereux visage de l’amour » et « Démons et merveilles ». Les partitions apportées par Carné sont travaillées par Maurice Thiriet qui fait les orchestrations, les arrangements, et qui compose lui-même « La Complainte de Gilles ». Le génie de Kosma et le talent de Thiriet aboutissent à une création. »
Michel Trihoreau ne fait que reprendre la version que Marcel Carné a publié dans son autobiographie (Ma Vie à belles dents.1996). Or les faits portent à croire qu’il n’en est rien comme nous le verrons plus bas.
3 – Laure Schnapper, « Un hongrois à Paris. Joseph Kosma (1905-1969) » in Douce France ? Musiciens en exil en France, Bollau, 2008
« En tant que juif, étranger et anti-vichyssois, Kosma vit dans la clandestinité et compose sous des noms empruntés à deux amis musiciens, Georges Mouqué et Maurice Thiriet, ce qui, on le verra, ne manquera pas de lui porter préjudice. Il prépare avec Prévert qui écrit le scénario […] Les Visiteurs du soir (1942) de Marcel Carné sous le nom de Maurice Thiriet. […] C’est aussi l’époque où se situe l’affaire des musiques incluses dans Les Enfants du paradis et Les Visiteurs du soir, que Kosma a écrites dans la clandestinité sous le nom d’un autre. Voilà que son prête-nom, Maurice Thiriet, cherche à s’en attribuer la paternité, à peine la guerre terminée. Malgré le témoignage apporté par la SUISA (la Société suisse des auteurs et éditeurs) où Kosma avait déposé ses manuscrits en 1943, la SACEM lui étant interdite, l’affaire va durer au moins jusqu’en 1952, date à laquelle Kosma s’adresse à un avocat. […] Nous ne savons pas l’issue de cette affaire, qui a en tout cas été préjudiciable à Kosma puisque l’on trouve aujourd’hui encore le nom de Maurice Thiriet associé à ses chansons.»
Publié dans un ouvrage universitaire qui fait référence, c’est sans doute l’article qui pose le plus de problème car Laure Schnapper est une musicologue reconnue (Professeur agrégée EHESS).
Donc on ne peut qu’apporter du crédit à ce qu’elle avance. Or vous comprendrez en lisant cette page à quel point elle se trompe ce qui pose un sérieux préjudice au droit moral de Maurice Thiriet.
Pour clore, un label (Milan) a même édité en 2009 pour le quarantième anniversaire de la mort de Joseph Kosma une compilation intitulée « Joseph Kosma – Itinéraire D’Un Génie » où l’on retrouve les deux ballades des Visiteurs du soir pourtant créditées par la SACEM au seul compositeur de ces musiques à savoir Maurice Thiriet.
2 – Qui étaient Maurice Thiriet et Joseph Kosma à l’époque des faits ? (avant 1945)
Avant d’aller plus loin il nous parait important de situer qui étaient Maurice Thiriet et Joseph Kosma au moment où ils vont collaborer ensemble, même si le terme collaborer n’est pas très approprié car il semble que chacun a travaillé dans son coin et qu’ils ne se sont pas rencontrés pendant la guerre. De plus ce terme de collaboration est évidemment très connoté quand on évoque l’époque de l’Occupation, mais bien sûr nous l’utilisons au sens noble du terme.
Maurice Thiriet
Maurice Thiriet a le même âge que Marcel Carné (né le 18 août 1906) à quelques mois près, étant né le 2 mai 1906 à Meulan dans les Yvelines.
Après le Conservatoire de musique à Paris en 1925, il poursuit ses études avec Charles Koechlin puis surtout avec son mentor Roland Manuel, ce disciple de Ravel.
Il signe sa première musique de film en 1932 pour le film « Il était une fois » de Léonce Perret en collaboration avec Marcel Delannoy. Puis au long des années 30 il continue à travailler pour le cinéma pour des films de Maurice Tourneur (Justin de Marseille, 1935) notamment et participe même auprès de son ami Maurice Jaubert à la musique de L’Atalante de Jean Vigo (1934).
Mobilisé en 1940, il se retrouve isolé avec une quinzaine d’hommes dont Olivier Messiaen et sont fait prisonniers. Maurice Thiriet passera de long mois en captivité en Allemagne dans le Stalag IX A. Il réussit à se faire rapatrier à Paris au printemps de l’année 1941. Lors de sa détention il compose l’oratorio Oedipe Roi d’après Jean Cocteau. C’est le poète lui-même qui en sera le récitant lors de la création avec la Chorale Yvonne Gouverné et l’Orchestre de la Société des Concerts du Conservatoire placé sous la direction de Charles Münch le 11 janvier 1942 à Paris.
Outre les musiques des Visiteurs du soir et des Enfants du paradis, Maurice Thiriet pendant la guerre composera les musiques des films : La Nuit fantastique de Marcel L’herbier, Vautrin de Pierre Billon, Le Loup des Malveneur de Guillaume Radot.
Joseph Kosma
Joseph Kosma est né le 22 octobre 1905 en Hongrie (Budapest). Il a quitté la Hongrie en 1930 pour aller à Berlin où il rencontrera Bertolt Brecht puis fuit à nouveau à la montée du nazisme pour la France où il arrive en 1933. Il finit par rencontrer Jacques Prévert aux studios de Joinville qui accepte de lui donner le texte A La Belle Etoile pour qu’il le mette en musique. Le morceau sera chanté par Florelle dans Le Crime de Mr Lange de Jean Renoir (1936) et marquera le début d’une belle collaboration entre Prévert et Kosma.
Dans la foulée, Kosma signe aussi la musique du premier film de Marcel Carné, Jenny (1936) et continue à composer pour Renoir : Une Partie de campagne (1936), La Marseillaise (1937), La Grande Illusion (1937) et La Bête Humaine (1938).
En 1940, Kosma fuit avec Prévert dans le sud de la France, en zone libre.
Il habite en 1941 à Tourrettes-sur-loup avec Prévert et sa bande (Trauner et Savitry notamment). C’est grâce à Prévert qu’il écrit l’une des chansons du film de Pierre Billon, Le Soleil a toujours raison (1941). Par contre comme les lois antisémites de Vichy l’empêchaient de travailler, Kosma utilise un prête-nom pour signer cette composition.
C’est le début de ses problèmes car pendant l’occupation il devra signer ses compositions du nom de Georges Mouqué.
C’est sous ce nom qu’il signera la musique du film de Pierre Prévert, Adieu Léonard, et donc des Enfants du paradis de Marcel Carné.
Georges Mouqué
C’est la grande énigme et le point central de cette ténébreuse affaire.
En effet, nous pouvons affirmer que Georges Mouqué n’a JAMAIS été le pseudonyme de Joseph Kosma comme nous avons pu le lire (et nous même l’écrire, mea culpa) et pour cause car il a existé.
Nous avions été intrigués d’abord par un courrier de Joseph Kosma retrouvé dans ses archives daté du 18 janvier 1952 adressé à Georges Mouqué.
Il lui écrit que Maurice Thiriet continue sa campagne de calomnie et qu’il veut y mettre un terme. Mais il voulait l’assurer que ça ne met pas en cause ni sa personne ni ses droits et pour finir Kosma rend hommage à la loyauté et la droiture de Georges Mouqué.
La réponse concernant l’existence ou non d’un Georges Mouqué sera confirmée très récemment par la SACEM dans un courrier adressé à Elizabeth Thiriet, la fille de Maurice Thiriet, qui nous en a aimablement adressé une copie. On y lit ceci :
Georges Mouqué, est un compositeur distinct de Joseph Kosma, né en 1901 et décédé en 1961 et membre de la SACEM depuis 1933.
(courriel daté du 10/11/11 envoyé du département juridique de la SACEM)
Puis à l’occasion de l’exposition Les Enfants du paradis est montré le contrat signé par Georges Mouqué pour Les Enfants du paradis. Nous apprenons du coup qu’il habitait 1 rue Berlioz à Nice (où le film a été en partie tourné).
En espérant que cette information permettra de clore cette partie du débat sur cette histoire de pseudonyme de Joseph Kosma.
Le contrat d’engagement de Georges Mouqué par Pathé pour Les Enfants du paradis daté du 14.02.1944 – (c) Fondation Jérôme Seydoux-Pathé
3 – Ce que dit Marcel Carné dans son autobiographie Ma Vie à belles dents (ed.L’Archipel. 1996)
Une bonne partie du problème qui induit en erreur un certain nombre de spécialistes (dont nous-mêmes) tient dans ce qu’a écrit Marcel Carné lui-même sur cette collaboration entre Maurice Thiriet et Joseph Kosma.
Nous nous basons sur la version définitive, celle de 1996 (toutes les versions depuis 1975 n’ont pas variées).
Carné raconte les circonstances de sa rencontre avec Maurice Thiriet qui lui avait été présenté par Georges Lampin, le directeur de production des Visiteurs du soir. Il avait beaucoup aimé cet Oratorio dont nous avons parlé précédemment (Oedipe-Roi d’après Jean Cocteau). Carné fera donc le lien entre Thiriet qui vivait à Paris (récemment libéré donc mais sous surveillance) et Kosma sur la Côte d’Azur.
Il raconte que Kosma lui remis « une partition de piano des deux seules chansons que comportait alors le film : Démons et Merveilles et Le Tendre et dangereux visage de l’amour » puis Carné n’a plus entendu parler de lui tant et si bien qu’ensuite il avait fallu composer les autres thèmes du film et orchestrer le tout par quelqu’un d’autre.
J’ai toujours pensé que l’association Kosma-Thiriet, si elle avait pu se prolonger, aurait été bénéfique durant de longues années. De par ses origines, Kosma était une sorte de tzigane, dont la facilité d’invention était prodigieuse. Là, selon moi, se bornait toutefois son talent qui, pour être grand, n’en était pas moins limité… Thiriet, au contraire, s’il ne brillait pas par l’imagination créatrice, avait un don d’orchestration rare.
Marcel Carné. Ma Vie à belles dents. 1996. p173
Puis finalement à la page 203, Carné évoque le différend entre Joseph Kosma et Maurice Thiriet à la fin de la guerre. Il parle de l’ingratitude de Kosma envers Thiriet « qui, non sans risques, avait accepté la combinaison que je lui avais proposé… A l’entendre, seul Kosma était l’auteur de la musique des Visiteurs du soir. Sans nier qu’il fut celui des deux ballades, on ne pouvait oublier que Thiriet avait composé et surtout orchestré, ce que n’avait pas fait Kosma, toute la musique du film et qu’en outre on lui devait la troisième complainte : Tristes enfants perdus (la complainte de Gilles). S’obstinant Kosma demanda l’arbitrage de la SACEM. Je compris alors qu’il s’agissait peut-être davantage d’une question d’intérêt que de vanité blessée. »
Carné en vient à cet arbitrage demandé par Kosma à la SACEM (cf ci-dessous). Outre le fait qu’il était bien présent ce jour-là ce qu’il semble éluder, Carné raconte que la séance d’arbitrage fut assez pénible. En effet, le jury trouve que le travail personnel amené par les deux parties penche en faveur de Thiriet. Carné raconte alors que Kosma a jeté « rageusement sur la table les partitions des deux chansons… » en s’écriant avec colère : « Alors, vous trouvez que ça, ce n’est rien ! »
Finalement le jury donna raison à Thiriet.
Nous verrons ci-dessous que contrairement à ce qu’écrit Carné, Kosma n’a semble-t-il (et nous gardons ce conditionnel) pas écrit ces deux ballades pour la simple et bonne raison que la SACEM ne reconnaît comme unique compositeur de ces musiques que Maurice Thiriet !
Or si Kosma les avait écrites, il aurait par la suite tenté de faire corriger cette erreur. Il n’en fut rien comme ce courriel de la SACEM envoyé à l’Association Maurice Thiriet Compositeur nous l’apprend.
Ce qui est certain (…) c’est que Joseph Kosma n’a pas sollicité que la documentation soit rectifiée en sa faveur et au détriment de votre père après guerre.
Si votre père n’avait été qu’un simple prête-nom, on peut supposer qu’il l’aurait demandé.(courriel daté du 09/11/11 envoyé du département juridique de la SACEM)
De plus Joseph Kosma en 1942 a déjà utilisé le prête-nom de Georges Mouqué pour signer la musique du film de Pierre Billon, Le Soleil a toujours raison, c’était en 1941.
Après Les Visiteurs du soir, il utilisera le nom de Georges Mouqué notamment pour Les Enfants du paradis sorti en 1945.
Le bulletin de déclaration SACEM de la 1° époque des Enfants du paradis signé par Maurice Thiriet et Georges Mouqué, le prête-nom de Joseph Kosma sous l’Occupation – (c) Association Maurice Thiriet Compositeur
Alors pourquoi s’être servi du nom de Georges Mouqué avant et après Les Visiteurs du soir mais pas pour Les Visiteurs du soir ?
De plus si deux des trois chansons des Visiteurs du soir étaient de la musique de Georges Mouqué, cela aurait été précisé sur le contrat signé par Prévert avec Choudens.
Il n’en est rien comme le montre ce document :
Extraits du contrat signé par Jacques Prévert qui vend et cède aux Editions Choudens les paroles des chansons enregistrées dans le film Les Visiteurs du soir, musique de Maurice Thiriet daté du 11 Novembre 1942 – (c) Association Maurice Thiriet Compositeur
Le même jour,en présence de Jacques Prévert, Maurice Thiriet signe son contrat avec Choudens pour toute la musique du film – (c) Association Maurice Thiriet Compositeur
Pourquoi Prévert n’a-t-il pas fait spécifier sur ce contrat que la musique était de Thiriet et Mouqué si vraiment Kosma y avait participé ?
Bref, pourquoi Marcel Carné a-t-il écrit que Kosma avait composé ces deux morceaux des Visiteurs du soir ?
Et si Joseph Kosma les a vraiment écrit, pourquoi n’en-a-t-il conservé aucune trace ? même dans ses archives ?
Alors qu’on y trouve la version entière de son ballet Pierrot Le Galant qui préfigure la musique des Enfants du paradis, daté de l’automne 1943…
4 – La version de Sables Mouvants (Démons et merveilles) par Agnès Capri en 1941 à Radio Zone Sud
L’imbroglio de la paternité de la musique des Visiteurs du soir connaît un nouveau rebondissement en lisant l’imposante biographie qu’Yves Courrière a consacré à Prévert (sorti en 2000).
A la page 473, il détaille une émission de radio que Pierre Laroche, avec qui Prévert écrivit le scénario des Visiteurs du soir, présenta sur Radio Zone Sud, qui émettait de Marseille.
L’émission s’appelait « Promenade avec Jacques Prévert » et participaient à l’émission outre le poète, Germaine Montéro, Pierre Brasseur, Agnès Capri. Courrière ajoute : « sans oublier Joseph Kosma qui en avaient mis la plupart en musique ».
Lesquels ?
L’émission a été diffusée le 3 octobre 1941 et contenait neuf textes importants de Prévert que l’on retrouvera dans le recueil Paroles quelques années plus tard dont Sables mouvants.
Sables mouvants est donc interprété par Agnès Capri. Or ce texte est celui de « Démons et Merveilles » des Visiteurs du soir, donc plus d’un an avant la sortie du film !
La première question qui vient à l’esprit est celle-ci :
Agnès Capri a-t-elle chanté ou simplement lu ce poème ? Et si elle l’a chanté, était-ce la même mélodie que celle du film, dans ce cas là, il est clair que Kosma en serait l’auteur.
Si elle l’a chanté, il devait exister une partition ? qu’est-elle devenue ?
Kosma fréquentait avant guerre le cabaret d’Agnès Capri qu’il avait connu grâce à Prévert. Ils étaient amis aussi on se demande pourquoi n’a-t-elle pas témoigné en sa faveur si vraiment elle avait chanté Sables mouvants (Démons et Merveilles) d’après une musique de Kosma lors de cette émission de radio ?
De plus ce qui est troublant c’est que ce soit Cora Vaucaire qui ait été l’ambassadrice des ballades médiévales des Visiteurs du soir, après l’Occupation, au cabaret d’Agnès Capri, et non Agnès Capri elle-même ! Et il est évident qu’alors Agnès Capri aurait réagi auprès de Cora Vaucaire en lui disant que cette musique était de Kosma et non de Thiriet. « Mais non bien au contraire, Agnès Capri adorait la musique de Thiriet dont elle a enregistré plusieurs chansons et elle n’en a fait aucune allusion » (courriel d’Elizabeth Thiriet. 2011).
[youtube width= »420″ height= »315″]http://www.youtube.com/watch?v=TD-wH04uA5w[/youtube]
Cora Vaucaire chante Démons et merveilles.
Pour la petite histoire, il se trouve que Maurice Thiriet a été le premier à mettre en musique le texte de Raymond Queneau « C’est bien connu ».
Agnès Capri chantera cette version dans son cabaret (sur un 78t) mais c’est la version mise en musique par… Joseph Kosma dont le titre est « Si tu t’imagine » qui est la plus connue, chantée par Juliette Gréco par exemple.
La partition de Maurice Thiriet pour ce poème de Raymond Queneau popularisé sur une musique de Joseph Kosma quelques années plus tard – (c) Association Maurice Thiriet Compositeur
5 – L’Arbitrage du 13 Janvier 1945 de la SACEM
Tapuscrit du procès-verbal du 13 janvier 1945 de la SACEM – (c) Association Maurice Thiriet Compositeur.
Au début de l’année 1945, alors que Les Enfants du paradis sont toujours en cours de montage, Joseph Kosma demande l’arbitrage de la Sacem.
En effet, il estime qu’il a été lésé dans ses droits par Maurice Thiriet comme nous l’avons vu précédemment.
Le 13 janvier 1945, un jury d’honneur désigné par la SACEM se réunit.
On y retrouve les compositeurs Georges Auric (futur président de la SACEM et compositeur de la musique de L’Eternel Retour de Jean Delannoy en 1943), Claude Delvincourt (qui créa en 1943 le fameux Orchestre des Cadets du Conservatoire), Henri Dutilleux (chef de chant à l’Opéra de Paris en 1942 puis directeur du service des illustrations musicales de la Radiodiffusion française en 1945) et Manuel Rosenthal (le directeur musical de l’Orchestre National).
L’intitulé de l’arbitrage est révélateur puisqu’il est indiqué qu’il porte sur le différend qui oppose d’une part Maurice Thiriet, et d’autre part M.Carné, Kosma et J.Prévert au sujet des partitions musicales écrites pour les films “Les Visiteurs du soir” et “Les Enfants du paradis”.
Donc Carné et Prévert ont pris fait et cause pour Kosma.
Voici les quatre points de la déclaration finale :
1 – Sur les quatre chansons des Visiteurs du soir, deux (« La complainte de gilles » et « Démons et Merveilles ») sont incontestablement de la composition de Maurice Thiriet.
2 – Pour celle intitulé « Gilles et Dominique », Thiriet reconnaît avoir utilisé une musique de Kosma mais que celle-ci a été empruntée à une musique populaire (« Une Souris verte ») et que par conséquent ni Thiriet ni Kosma n’en sont l’auteur.
3 – « Le Tendre et dangereux visage de l’amour » est revendiquée à la fois par Thiriet et par Kosma mais le jury n’arrive pas à se prononcer en faveur de l’un ou l’autre. Par contre il constate ce que nous avons écrit précédemment c’est-à-dire qu’aucune tentative n’a été faite par Kosma pour « réserver ses droits d’auteur, soit en déclarant cette chanson sous un prête-nom, soit en demandant à M.Thiriet un arrangement amiable pour le partage des droits, et ce, bien qu’il ait usé de ces moyens pour toutes les autres musiques de sa composition écrites et enregistrées clandestinement. »
4 – La partition des Enfants du Paradis est due en majeure partie à la plume de Maurice Thiriet qui reconnaît cependant avoir utilisé en accord avec Carné/Kosma des thèmes et fragments composés par ce dernier.
Ce jugement apporte plusieurs réflexions.
La première c’est que Maurice Thiriet est reconnu comme le compositeur incontestable du morceau phare des Visiteurs du soir, Démons et Merveilles.
Le troisième point soulève le principal problème de Kosma sur Les Visiteurs du soir, pourquoi n’a-t-il pas utilisé le nom de Mouqué pour signer ses ballades si elles étaient vraiment de lui ?
Et le quatrième point confirme ce que nous savons déjà c’est-à-dire que Maurice Thiriet reconnaît avoir utilisé des thèmes musicaux de Joseph Kosma pour Les Enfants du paradis et nous verrons plus loin que les droits sont partagés à 50/50 entre Maurice Thiriet et Georges Mouqué.
6 – La Mise au point daté du 19 octobre 1946 entre Thiriet et Kosma en présence de Jacques Enoch.
Avant d’en arrivé à ce deuxième arbitrage (qui aurait dû être définitif), il nous faut revenir quelques mois en arrière.
Suite à l’arbitrage de la SACEM du 13 janvier 1945 qu’il n’accepte pas, Joseph Kosma continue à chercher à faire valoir ses droits.
Ainsi, il contacte la SUISA (l’équivalent de la SACEM en Suisse) dont il fut le sociétaire pendant la guerre du 01 janvier 1942 au 01 janvier 1946.
Son courrier porte sur la musique des Enfants du paradis dont Joseph Kosma estime qu’il devrait être mieux crédité.
En effet, il a composé lorsqu’il était hébergé clandestinement au milieu de l’année 1943 au Prieuré de Tourrettes-sur-loup avec la bande à Prévert, la musique d’un ballet qui s’appelle Pierrot Le Galant qui sera celle des Pantomimes des Enfants du paradis. Il en a déposé la partition à l’époque et il demande à la SUISA de bien vouloir confirmer ce dépôt.
Il reçoit deux courriers daté du 1 mai 1945 signé Adolf Streull, le directeur de la SUISA.
Dans le premier ils confirment que leur sociétaire, le compositeur Joseph Kosma a déclaré auprès de leur société le 22 octobre 1943 la musique composée par lui pour le ballet en cinq tableaux Pierre Le Galant (sic) de M.Jacques Prévert. Ils ajoutent que le manuscrit de cette musique est déposé dans leurs archives et ils le reconnaissent être de la main de Kosma.
Le deuxième est adressé plus personnellement à Kosma.
Ils lui expliquent qu’ils ne peuvent prendre activement en main sa cause car la question du conflit dépasse le domaine propre de leur activité et de leurs compétences. Ils ne peuvent que demander une intervention de la SACEM auprès de son sociétaire Thiriet ou à témoigner en sa faveur auprès du tribunal compétent. Puis ils ajoutent que ses droits leur paraissent incontestables et qu’ils ne voient pas d’autre moyen pour les faire valoir que d’intenter un procès au civil contre Thiriet pour atteinte à son droit moral d’auteur.
Kosma ne va jamais intenter ce procès au civil envers Thiriet.
Finalement le 19 octobre 1946, Joseph Kosma et Maurice Thiriet conviennent de faire une mise au point commune au siège de l’éditeur de musique Enoch, 72 boulevard des italiens à Paris, en présence de Jacques Enoch, l’éditeur de Kosma.
(Cette mise au point figure dans les archives de Joseph Kosma à la Médiathèque Malher).
Cette mise au point est importante car elle stipule que de fait « l’arbitrage du 13 janvier 1945 devient sans objet. »
Mais elle laisse néanmoins planer une ambiguïté regrettable dans la phrase qui précède.
En effet, nous lisons qu’ils rejettent sur une certaine presse des échos erronés et tendancieux concernant leur collaboration et qu’une série d’évènements a pu entretenir entre eux ce climat hostile.
Finalement dans une tournure de phrase ambiguë ils reconnaissent avoir loyalement travaillé en collaboration durant la clandestinité de Mr Kosma, dans un sentiment de mutuelle estime professionnelle.
Que veut dire cette phrase ?
Thiriet et Kosma semblent rejeter sur des personnes extérieures l’origine du conflit qui les oppose mais ce sentiment de « mutuelle estime professionnelle » ne résout rien.
Au point que dans un courrier daté du 25 novembre 1949, suite à une demande de Kosma, Jacques Enoch lui confirme que lors de cette réunion du 19 octobre 1946, Maurice Thiriet a indiqué qu’il avait composé plusieurs versions de la chanson Le Tendre et dangereux visage de l’amour à partir des thèmes remis par Kosma et que par conséquent il ne pouvait affirmer que la version définitive qui avait été publiée par son éditeur Choudens, sous sa signature, n’était pas une réminiscence directe de (votre) musique.
Relevons qu’à aucun moment Kosma ne revendique la paternité de la ballade « Démons et Merveilles. »
Puis Jacques Enoch poursuit que Thiriet a alors déclaré qu’il était prêt à « envisager une nouvelle édition de cette oeuvre qui porterait les noms de Kosma et Thiriet. »
Belle preuve de Thiriet pour calmer le jeu mais hélas Kosma refusa cet arrangement car il ne reconnaissait pas la collaboration de Thiriet sur ce morceau et estimait que c’était sa propre musique qui avait été éditée…
Kosma a-t-il à ce moment là cédé à un moment d’orgueil ?
(c) Ed. Choudens
7 – La Lettre de Maurice Thiriet à Joseph Kosma le 20 octobre 1946 (le lendemain de cette réunion chez Enoch).
Les archives de Joseph Kosma contiennent plusieurs lettres de Maurice Thiriet qui lui sont adressés et qui nous apportent un éclaircissement sur leurs rapports.
Dans cette lettre manuscrite par exemple, Thiriet lui écrit à propos d’une lettre commune à faire publier dans la presse professionnelle (dont nous n’avons pas retrouvé trace pour l’instant).
Il lui explique qu’il avait l’impression que Prévert et lui voulaient ruiner sa carrière en propageant l’idée qu’il n’avait pas écrit une note des Visiteurs du soir et des Enfants du paradis, et que le vrai et seul auteur de la musique de ces films était Kosma.
Avant d’aller plus loin, il faut signaler qu’à cette période Joseph Kosma a écrit la musique d’un ballet mis en scène par Jean-Louis Barrault au Théâtre Marigny (qui sera joué au même moment, en octobre 1946) qui s’appelle Baptiste d’après les Pantomimes des Enfants du paradis. Thiriet trouve donc que Baptiste était une nouvelle démonstration destinée à lui nuire définitivement afin de persuader les gens qu’il n’était pour rien dans la musique des Enfants du paradis.
Puis il ajoute que leur accord de la veille chez Enoch l’a rassuré et que maintenant « nous pouvons respirer (j’ose à peine y croire) ».
Pour terminer il demande à Kosma en p.s s’il peut faire publier dans la presse en rapport au ballet Baptiste un écho du genre :
Baptiste la pantomime de Prévert et Kosma que va créer JL Barrault fut écrite en 1943. Elle figure fragmentairement dans le film Les Enfants du paradis et plusieurs de ses thèmes sont incorporés à la partition musicale composée par Maurice Thiriet pour ce film.
Il est regrettable que dans les archives de Joseph Kosma on ne retrouve pas les réponses qu’il a pu adresser à Maurice Thiriet.
Ainsi, nous ne savons pas si Kosma a répondu à cette lettre, par contre nous avons retrouvé une autre lettre de Thiriet cette fois-ci adressé à… Jacques Enoch.
(Comment est-elle arrivé dans les archives de Kosma ?)
Toujours est-il que dans ce courrier daté du 29 décembre 1946, Thiriet se plaint de l’hostilité de son confrère qui continue (donc deux mois après cette lettre). Il évoque notamment un article paru dans la revue Radio 46 où Kosma parle des Enfants du paradis sans ajouté qu’il y avait participé également. Il demande que Kosma fasse paraître un rectificatif.
Puis Maurice Thiriet ajoute une phrase assez importante sur le type de leur collaboration sur la musique des Enfants du paradis.
Les Enfants du paradis sont le type même de l’ouvrage écrit à deux, qui contient de la musique de Kosma adapté et orchestré par moi, des compositions que j’ai faites en paraphrasant ses thèmes musicaux, et de la musique entièrement originale à peu près par tiers égaux.
On ne trouve cette affirmation de Maurice Thiriet que dans cette lettre à Jacques Enoch d’où son importance.
Nous avons vu la fiche universelle (TCPA) en rapport avec Les Enfants du paradis (cf ci-dessous) et nous pouvons affirmer que les droits entre Maurice Thiriet et Georges Mouqué (Joseph Kosma) sont partagés à 50/50.
Néanmoins ce témoignage de Maurice Thiriet est intéressant par son aveu que la musique des Enfants du paradis se partageraient par tiers égaux :
1 – Compositions de Kosma adapté et orchestré par Thiriet.
2 – Compositions de Thiriet en paraphrasant des thème musicaux de Kosma.
3 – Compositions originales de Thiriet.
Mais les droits étant partagés à 50/50, il nous semble que la querelle n’a plus lieu d’être.
La Fiche Universelle (TCPA) des Enfants du paradis – (c) Association Maurice Thiriet Compositeur
8 – La Version de Maurice Thiriet (Lettre du 15 mars 1948 à Joseph Kosma).
Nous retrouvons deux autres lettres de Maurice Thiriet à Joseph Kosma durant l’année 1947 où il répète à peu près la même chose c’est-à-dire qu’il apprécie trop leur traité de paix pour ne pas continuer à le défendre à chaque occasion opportune. Mais que de nouveau un article de presse (Radio 47 daté du 21 février 1947) persiste à attribuer à Kosma la paternité de morceaux comme Démons et Merveilles. Il ajoute qu’il sait que Kosma n’y est pour rien, qu’il s’agit souvent de personnes désireuses de flatter sa collaboration avec Prévert.
Le problème c’est que les gens mettent en doute leur accord de 1946 comme Kosma ne dément pas ces propos journalistiques. Aussi comme il est persuadé que Kosma a à coeur de faire cesser cette polémique pour notre tranquillité et l’estime mutuelle que nous nous sommes prouvés, il lui demande d’adresser un démenti à cette revue et profiter de sa prochaine émission de radio pour présenter sa chanson en cause, Démons et Merveilles ?
NDLR. Effectivement si Kosma avait pu jouer à cette occasion sa version de Démons et Merveilles, cela aurait permis de faire taire cette polémique…
Nous ignorons donc la réponse qu’a apporté Kosma à ce courrier.
Le générique de la première époque des Enfants du paradis par Maurice Thiriet – (c) Association Maurice Thiriet Compositeur
Mais l’histoire a continué puisqu’un an après dans une lettre du 15 mars 1948, Maurice Thiriet va s’épancher sur trois pages recto-verso et revenir en détail sur toute cette histoire.
Cette lettre constitue le meilleure témoignage de ce que Maurice Thiriet pense être sa vérité dans cet imbroglio musical.
Elle semble faire suite à une conversation téléphonique qu’ils ont eu le matin même. Il est écoeuré par tous ces gens qui continuent à leur imputer des propos monstrueux. Alors il lui parle de documents qu’il possède sur leur collaboration clandestine qu’il aimerait lui montrer et qui lui révéleraient mille choses qu’il (Kosma) ne sait pas et que leur entourage fait l’impossible pour qu’il (Kosma) ne les connaisse pas. Thiriet emploie même le terme d’abominable machination à leur égard.
Pendant la guerre alors que Prévert et Kosma était dans le Midi et lui à Paris, Maurice Thiriet sous-entend que pour leurs commodités et pour ménager leurs amitiés , les réalisateurs des films (donc Marcel Carné. NDLR) où nous avons été mêlés vous ont dit “blanc” et à moi “noir” sans se soucier de ce que cela produirait par la suite. Sauf que Thiriet a des lettres et des contrats qui prouveront à Kosma qu’on lui a raconté des histoires et qu’il pourra lui montrer quand il (Kosma) voudra.
Et Maurice Thiriet parle d’une lettre de la société de production des Visiteurs du soir, Discina, daté du 24 mars 1942 soit un mois à peu près avant le début du tournage (cf ci-dessous).
Dans cette lettre on lui demandait son avis sur les chansons destinées au film. Il accepta de bon gré le principe de rendre service à Kosma malgré les réserves faites sur ses chansons. Il raconte qu’ensuite il a tenté pendant trois semaines de les remanier sous diverses formes pour pouvoir les utiliser dans le film. Puis il ajoute que malheureusement Marcel Carné les a définitivement écartées et qu’il n’y peut rien.
A propos de la fameuse ballade (qui semble être celle à laquelle Kosma tient particulièrement. NDLR) Le Tendre et dangereux visage de l’amour, Thiriet redonne la version donnée lors de la mise au point chez Enoch en 1946, c’est-à-dire que si cette ballade rappelle celle de Kosma ça ne peut qu’être qu’inconsciemment. Que cette réminiscence peut s’expliquer par le fait qu’il avait tenté durant ces trois semaines de malaxer la musique de Kosma dans tous les sens, et d’autre part que cette ballade se trouve dans l’esprit de bon nombre de ses oeuvres composés jusqu’à dix ans auparavant. Il insiste alors, s’il a plagié quelqu’un c’est lui-même !
Le générique de la deuxième époque des Enfants du paradis par Maurice Thiriet – (c) Association Maurice Thiriet Compositeur
Enfin, Maurice Thiriet aborde le sujet de la musique des Enfants du paradis.
Il cite un contrat de Pathé datant du 06 avril 1944 où on lui avait demandé de refaire toute la musique en ne gardant que les thèmes du Pierrot et la Mazurka de Kosma, le contrat spécifiant que cette musique sera de lui et inédite. En effet, Raymond Borderie, le directeur de production de Pathé pour Les Enfants du paradis, insistait pour que seul Maurice Thiriet en compose la musique !
Sachez que c’est uniquement grâce à moi qu’une part importante de votre musique figure dans le film écrit-il ensuite. Il explique qu’on lui a demandé d’être gentil avec Kosma pour les droits vu que celui-ci n’avait pas été crédité pour Les Visiteurs du soir. Il a donc spontanément proposé de les partager à moitié sans savoir s’il utiliserait ou non la musique de Kosma et Thiriet ajoute en soulignant comme j’en avais la liberté.
Aussi plutôt que d’attribuer 50% de droits à Kosma sur une partition originale de sa plume, il a préféré utiliser et paraphraser les compositions de Joseph Kosma, en dehors de sa musique originale, pour justifier le partage des droits. Il ajoute que ce n’est qu’après avoir écrit la partition d’orchestre avec sa participation (celle de Kosma) qu’il a fait changer le contrat de Pathé pour le remplacer par celui qui prévoit le partage des droits à 50/50.
Il ajoute qu’il n’a fait cela que pour obéir à sa ligne de conduite pendant l’occupation et aider un confrère persécuté.
Il lui a donc été très pénible d’avoir été vidé de la réputation musicale des Enfants du paradis comme un véritable escroc.
C’est en p.s qu’il parle d’une lettre de Pathé datant du 12 décembre 1944 qui le remercie d’avoir accepté que le nom de Kosma paraisse à coté du sien au générique en dérogation d’accord publicitaire antérieur. Il se défend ainsi d’avoir interdit que le nom de Kosma apparaissent au générique des Enfants du paradis.
La Partition de Joseph Kosma, Pierrot le Galant, qui sera utilisé pour les pantomimes des Enfants du Paradis – (c) Médiathèque Malher / Cinémathèque Française
9 – La Version de Joseph Kosma, lettre à la SACEM de 1951.
Il semble que les preuves dont parlait Maurice Thiriet n’ont pas convaincu Joseph Kosma (mais nous ne savons pas s’il les a vu) puisqu’en 1949 il demande à nouveau à Jacques Enoch de lui adresser un courrier témoignant de la mise au point en sa présence du 19 octobre 1946 (cf ci-dessus).
Enoch lui répond le 25 novembre 1949 et confirme que Maurice Thiriet lors de cette réunion a indiqué que pendant la guerre il avait été amené à faire différentes versions de la chanson, Le Tendre et dangereux visage de l’amour, d’après les thèmes que Kosma lui avait fourni et que dans ce cas là, Thiriet ne pouvait affirmer que la version éditée n’était pas une réminiscence directe de la musique de Kosma.
Thiriet aurait alors proposé de faire éditer à nouveau cette chanson avec leurs deux noms. Malheureusement Kosma refusa soutenant que c’était sa propre musique qui avait été édité et qu’il ne reconnaissait pas la collaboration de Thiriet.
Cette lettre est intéressante car nous insistons sur le fait que Kosma ne revendique sa paternité que sur Le Tendre et dangereux visage de l’amour et non Démons et merveilles ce que certains continuent à propager… Et bien sur Carné lui-même dans ses mémoires…
C’est le seul point de désaccord sur lequel se base Kosma par rapport à la musique des Visiteurs du soir.
On ne peut que regretter que Kosma ait refusé la main tendue de Thiriet et accepté de voir son nom accolé à cette chanson emblématique ce qui aurait permis de témoigner du travail qu’il avait effectué sur ce film.
Nous arrivons ainsi à l’année 1951.
Nous avons d’abord une lettre de Kosma datée du 3 septembre 1951 adressée au producteur Pierre Braunberger.
Il lui répond en mentionnant un correspondant qui se serait manifester auprès de Braunberger à propos du différend l’opposant à Thiriet. Ce correspondant n’ayant contacté que Thiriet, Kosma lui fait remarquer qu’il aurait dû chercher à entendre les deux parties concernées. De plus il s’étonne que Thiriet prenne comme preuve le procès verbal de 1945 dont ils ont convenu en 1946 devant Enoch qu’il était devenu sans objet.
A nouveau il s’en prend à la composition du jury de 1945 et déclare qu’il considère comme illégal le résultat de leurs délibérations. Il revendique donc la paternité de la musique des Enfants du paradis.
Puis, c’est la partie qui nous intéresse car nous avons vu pour Les Enfants du paradis, le problème se pose moins comme les droits sont partagés à 50/50 et qu’aucun des deux n’est lésé dans ce partage.
Pour Les Visiteurs du soir, Joseph Kosma écrit à Braunberger que en ce qui concerna la brumeuse affaire de la chanson des Visiteurs du soir pour laquelle je n’avais aucun moyen de défense, n’ayant pas eu la possibilité de déposer, en temps voulu, le manuscrit à une Société d’ Auteurs , il lui communique cette lettre de Jacques Enoch du 25 novembre 1949.
Ce passage confirme donc bien que Kosma ne réclame la paternité que de cette chanson Le Tendre et dangereux visage de l’amour qui est la deuxième chanté par Alain Cuny /Jacques Jansen dans le film.
Plan de travail des Visiteurs du soir (la scène du banquet et des ballades) – (c) Association Maurice Thiriet Compositeur
Dans les archives de Joseph Kosma figurent une lettre tapuscrite (non daté précisément mais de 1951) adressé à Mr le Président du Conseil d’Administration de la SACEM, 10 rue chaptal, 75009 Paris.
Il lui écrit car à son grand regret il veut le saisir du différend qui l’oppose à Maurice Thiriet.
Joseph Kosma écrit qu’il a composé une partie importante de la partition des Enfants du paradis. Or comme il vivait dans la clandestinité ce sont deux autres compositeurs qui ont signé (Thiriet et Mouqué. NDLR).
Mais qu’il avait réussi à faire déposer son manuscrit dès le 22 octobre 1943 en Suisse à la SUISA dont il était membre.
Puis il en vient à cet arbitrage du 13 janvier 1945 qui lui fut défavorable.
Kosma réitère ce qu’il a écrit à Braunberger précédemment. Il se plaint de n’avoir pu être entendu que quelques minutes, se demande sur quelles critères ces arbitres ont été désignés, pourquoi ont-ils statué en urgence ? Kosma affirme qu’ils ont refusé de prendre en considération les témoignages de Jacques Prévert, Marcel Carné et Alain Cuny qui avaient été témoins de son travail dans la clandestinité, et qu’il n’avait pu présenter l’attestation de son dépôt de 1943 à la SUISA cejour là. Finalement il a appris leur décision par la presse (dans un article du Film Français).
Joseph Kosma évoque les représentations de son ballet Baptiste au Théâtre Marigny qui contient la plus grande partie de sa musique que l’on retrouve dans Les Enfants du paradis. Il espérait que sa compétence en matière musicale serait suffisamment établie par celle-ci vu que Maurice Thiriet n’a pu en empêcher les représentations.
Il parle de la mise au point en présence de Jacques Enoch en 1946 et du fait que pour éviter tout rebondissement il a consenti à ne pas exiger la publication de celle-ci, considérant l’affaire comme close.
S’il désire saisir la SACEM à nouveau c’est que Maurice Thiriet continue à utiliser l’arbitrage de 1945 et que de ce fait, les calomnies les plus injurieuses ont circulé et continuent à circuler sur lui dans les milieux musicaux.
Aussi il demande que soit tranchée une fois pour toutes la contestation existant entre Maurice Thiriet et lui relative à la composition, à la propriété de l’oeuvre et qu’il soit réintégré dans ses droits sur le film des Enfants du Paradis.
Il termine sa lettre en disant qu’il ne désire qu’une réhabilitation morale et abandonne dès maintenant sa part de droits sur le film au profit de la SACEM pour qu’il soit réparti par moitié à l’oeuvre du Denier des veuves et à la Fraternelle des employés de la SACEM .
Il a enfin un mot pour Georges Mouqué espérant qu’il ne soit en rien atteint par le règlement d’un différend auquel il est toujours demeuré totalement étranger.
Les archives de Joseph Kosma ne contiennent pas la réponse de la SACEM à sa demande, si elle a eu lieu.
Par contre nous avons une autre lettre de Joseph Kosma adressé à la SACEM daté du 28 décembre 1951 dans laquelle il se plaint que Maurice Thiriet affirme devant des personnes que les droits des Enfants du paradis sont partagés à 50% alors que la SACEM ne lui a jamais versé un centime. Il demande donc à la SACEM l’attestation que les droits ont été partagés entre Maurice Thiriet et Georges Mouqué !
NDLR, ce qui est étonnant de la part de Kosma puisque justement nous savons par Pathé que les droits du film ont bien partagés à 50/50 entre Thiriet et Mouqué.
Ce même jour il envoie une lettre à la SUISA pour leur demander à nouveau l’attestation du dépôt de sa partition Pierrot Le Galant à l’automne 1943 à l’époque où en France la loi de l’occupant ne me permettait pas de travailler autrement que clandestinement.
Il reçoit une réponse de la SUISA daté du 3 janvier 1952 dans laquelle ils déclarent formellement comme nous l’avons déjà fait le 01.05.1945 que Mr Kosma a déclaré auprès de notre société le 22.10.1943 la musique composée par lui pour le ballet en cinq tableaux “Pierrot le galant” de Mr Jacques Prévert… Nous reconnaissons ce manuscrit de la main de M. Joseph Kosma.
Puis le 4 janvier 1952 il reçoit un courrier de la SACEM qui accuse réception de celle du 28 décembre dont la formulation est étonnante :
Il ne nous est pas possible de vous donner de renseignements concernant la répartition des Enfants du paradis puisque vous n’êtes pas intéressé dans celle-ci .
Nous vous confirmons que nous ne vous avons jamais crédité pour cette production.
Signé du chef de la répartition (illisible).
Formulation étonnante car bien sur que Joseph Kosma n’a jamais été crédité pour ce film puisque c’est son prête-nom Georges Mouqué qui a signé pour ce film !
Ainsi, quelques semaines plus tard Joseph Kosma écrira une lettre à Georges Mouqué le 18 janvier 1952, qui est la seule correspondance que nous avons trouvé entre les deux et qui prouve aussi que Georges Mouqué a réellement existé ainsi que la SACEM nous l’a confirmé. Nous vous en parlions en début d’article.
Malheureusement les archives de Joseph Kosma ne contiennent plus rien après cette année 1952.
Nous savons que l’affaire a continuée puisque nous avons un courrier de Maurice Thiriet se plaignant d’un article de presse paru dans Radio-Cinema-Télévision en 1964 à propos d’une diffusion des Visiteurs du soir à la télévision. Cet article affirmait que Joseph Kosma avait composé les ballades médiévales Démons et Merveilles et Le Tendre et dangereux visage de l’amour. Alors Maurice Thiriet avait pris sa plume pour réfuter cette affirmation, il va même jusqu’à écrire que Joseph Kosma n’a apporté aucune collaboration clandestine ou autre tant aux trois chansons qu’à la musique symphonique… lesquelles sont entièrement et intégralement oeuvres de ma composition.
[youtube]http://youtu.be/JOCUA3rg8x8[/youtube]
Jacques Douai chante Démons et merveilles.
10 – La Lettre de Maurice Thiriet à André Paulvé daté du 24 mars 1942 (Fonds André Heinrich)
En consultant le Fonds André Heinrich, un grand spécialiste de Prévert, à la Cinémathèque Française, on y trouve une mention d’une lettre de Maurice Thiriet à André Paulvé, le producteur des Visiteurs du soir, daté du 24 mars 1942 (soit quelques semaines avant le début du tournage). Thiriet y fait référence dans sa lettre à Kosma du 15 mars 1948 (cf ci-dessus).
C’est la seule mention détaillée du travail de Kosma sur ce film que nous avons pu consulter, c’est donc un témoignage très important.
Apparemment, Paulvé vient de lui envoyer une copie des chansons de Kosma. Thiriet lui donne son avis sur celles-ci (il y en a deux) à savoir qu’il lui parait anachronique pour un film qui doit se passer au XV°siècle d’entendre des chansons rappelant plutôt le répertoire de Suzy Solidor ou de Marianne Oswald que ce que pourrait chanter un troubadour au cours d’un banquet au Moyen-Age.
Thiriet va plus loin et écrit :
L’une des chansons, Démons et Merveilles, est une sorte de chanson réaliste sur un rythme de valse américaine et l’autre, Le Tendre et dangereux visage de l’amour, se trouve dans une ambiance rythmique et harmonique voisine du blues.
NDLR, nous sommes donc bien loin des chansons telles qu’elles apparaissent dans le film.
Nous n’avons pas de raison de douter de l’existence de cette lettre pour la raison suivante :
André Heinrich l’utilise pour opposer Thiriet à Kosma (car Thiriet critique ces chansons mal harmonisées et mal prosodiées), mais il ne semble pas prêter attention à l’intérêt principal de ce courrier :
Le style des chansons composées par Kosma ne correspond pas à ce que nous entendons dans le film.
Thiriet n’a aucun intérêt à inventer ce qu’il pense des morceaux de Kosma et de leur style car à cette époque, il n’y a pas de querelles entre eux. Il ne fait que donner son avis.
Quant à Heinrich, il n’a aucun intérêt à inventer ces propos et cette lettre. Le sérieux de ces recherches n’est plus à prouver.
Aussi, cette lettre est un grand témoignage sur le style de chansons que Kosma avait composé pour la musique des Visiteurs du soir, l’une était une valse américaine et l’autre un blues.
[youtube]http://youtu.be/crxpMXGDr2A[/youtube]
Ecoutez les deux ballades des Visiteurs du soir via Youtube.
11 – Conclusion
Voilà donc tout ce que nous avons appris concernant cette collaboration entre Maurice Thiriet et Joseph Kosma.
Il est dommage néanmoins que nous ne savons rien de l’arrangement entre Kosma et Mouqué. Nous n’avons que cette lettre du 18 janvier 1952 qui témoigne du rapport entre eux. Pour l’instant c’est tout.
Mais faisons le point film par film sur ce que nous savons et ce que nous supposons à propos de cette brumeuse affaire comme l’écrit Joseph Kosma.
Nous rappelons que le but n’est pas de polémiquer à nouveau ni de se baser sur nos impressions mais uniquement sur des preuves écrites de première main à savoir Joseph Kosma et Maurice Thiriet eux-mêmes.
Mais avant cela, il est important de citer ce que Joseph Kosma a confié à Marc Soriano et qui paraîtra en 1988 dans le numéro spécial consacré à Joseph Kosma de La Revue Musicale :
« Cet état de musicien clandestin devait entraîner par la suite un certain nombre de complications et de déconvenues. Ainsi, après-guerre, parmi les gens qui m’avaient prêté leur nom, d’aucun ne reconnurent pas leur aide avec assez d’élégance et de franchise et s’attribuèrent ce que j’avais écrit ! Cela donna lieu à des évènements pénibles… Bah! vues de loin et avec un détachement suffisant, ces tristes histoires de recherche de paternité ne sont, après tout, qu’un hommage à ma musique ! » p34
Avec le recul il est étonnant de voir avec quel désinvolture Kosma balaie cette complication et cette déconvenue.
Joseph Kosma et Jacques Prévert – (c) Pierre Jamet, 1947
Ce qui est indiscutable, c’est qu’à chaque fois, Joseph Kosma se trouve au démarrage des projets des deux films.
Pour Les Visiteurs du soir, il compose au piano une première musique pour les deux premières ballades ; puis pour Les Enfants du paradis, le ballet Pierrot le Galant qui sera intitulé Pantomimes pour les besoins du film.
Les Visiteurs du soir (1942)
1 – Nous avons vu que contrairement à tout ce que nous avons lu, Joseph Kosma ne revendique la paternité que de la deuxième ballade du film à savoir Le Tendre et dangereux visage de l’amour.
A aucun moment dans ses archives il ne parle de Démons et merveilles qui lui est souvent attribué.
Pour la SACEM, en tout cas le seul compositeur de ces ballades est Maurice Thiriet et comme nous l’avons vu plus haut, Kosma n’a pas cherché ensuite auprès d’eux à faire changer ce fait.
2 – D’autre part, si Kosma avait vraiment été l’auteur de Démons et merveilles, pourquoi ne l’a t-il pas fait créditer par Georges Mouqué, son prête-nom pendant la guerre ?
Nous rappelons qu’il l’a fait un an avant en 1941 pour Le Soleil a toujours raison de Pierre Billon et l’année d’après en 1943 pour Adieu Léonard de Pierre Prévert.
Qu’est-ce qui pouvait l’empêcher de le faire en 1942 ?
Puis après la guerre, pourquoi n’a-t-il pas cherché à faire chanter sa mélodie pour montrer qu’il en était l’auteur ? Nous rappelons que pour Les Enfants du paradis, il a écrit pour le ballet Baptiste une suite d’orchestre (basée sur le film) en 1946 pour affirmer sa paternité musicale sur ce film (cf écoutez-la dans l’un des liens ci-dessous).
Et si vraiment Agnès Capri avait chanté cette ballade dans la mélodie que nous connaissons en 1941 lors de cette émission de radio dont nous avons parlé, pourquoi après la guerre n’a-t-elle pas témoignée auprès des personnes concernées ? et avoir laissé son amie Cora Vaucaire la populariser ?
3 – D’autre part, pourquoi n’a-t-il pas gardé dans ses archives des preuves de ces compositions ? il l’a fait pour Les Enfants du paradis comme nous l’avons vu.
Le livre que Jean Solar consacra à Maurice Thiriet (Editions Ventadour) 1957.
Il faut se rendre à l’évidence, il semble que nous sommes beaucoup à nous être trompé sur la paternité de ces ballades induit en erreur notamment par ce qu’a écrit Marcel Carné dans ses mémoires.
Ainsi, il semble que la lettre de Maurice Thiriet à André Paulvé (le producteur des Visiteurs du soir) de mars 1942 nous donne l’indice qu’il nous manquait.
A savoir que Kosma avait bien composé deux musiques pour ce film, l’une était une valse américaine (Démons et merveilles) et l’autre un blues (Le Tendre et dangereux visage de l’amour) mais qu’elles n’auraient pas été retenues dans la version finale du film.
Bref, nous ne saurons jamais avec certitude ce qui s’est vraiment passé même si le doute profite à Maurice Thiriet après tous les éléments que nous vous avons montré.
Peut-être que Kosma aurait dû accepter la main tendue par Thiriet lors de la rencontre de 1948 chez Enoch ? La paternité de la deuxième ballade Le Tendre et dangereux visage de l’amour aurait été partagée entre les deux ce qui aurait pu sceller leur réconciliation…
Nous l’avons vu seule cette deuxième ballade peut éventuellement poser un problème et c’est la raison pour laquelle nous employons le conditionnel pour parler de la collaboration de Joseph Kosma sur ce film.
D’ailleurs lorsque le film Les Visiteurs du soir a été édité en DVD et lors de la ressortie en salle en décembre 2012 par SNC/M6 Vidéo, ils ont ajouté cette phrase à la distribution à laquelle nous ne pouvons que souscrire.
« Joseph Kosma a participé, dans la clandestinité, aux chansons des Visiteurs du Soir. Malgré divers arbitrages depuis 1945, le dissentiment opposant MM. Thiriet et Kosma sur les détails de leur collaboration ne nous permet pas aujourd’hui de créditer le travail de ce dernier avec certitude. »
Le numéro spécial de La Revue Musicale consacré à Joseph Kosma en 1988.
Les Enfants du paradis (1945)
Le problème est différent pour ce film car Joseph Kosma est bien crédité pour la musique en ce qui concerne les Pantomimes sous son prête-nom Georges Mouqué.
Peut-être a-t-il composé d’ailleurs d’autres mélodies que l’on entend dans le film ? par exemple, Arletty chantonne Je Suis comme Je Suis popularisé par Juliette Greco dans les années 50 (musique de Joseph Kosma et paroles de Jacques Prévert).
On entend ce morceau dans la scène où Frédérick Lemaître rencontre Garance à sa fenêtre dans l’hôtel de Madame Hermine.
Extrait du découpage technique d’après montage par L’Avant-Scène n°72-73 (1967).
En tout cas il est indiscutable comme nous l’avons vu que les droits sont partagés à moitié entre Maurice Thiriet et Georges Mouqué. L’honneur est préservé pour les deux. Le détail à ce niveau là importe peu du coup.
Sauf que souvent les journalistes oublient volontiers le nom de Maurice Thiriet pour ne citer que celui de Kosma, mais cela nous n’y pouvons rien…
Joseph Kosma lui réclamait une partie importante de la partition du film (cf la lettre adressée à la SACEM en 1951).
Sans doute a-t-il été blessé dans son orgueil d’avoir travaillé deux fois de suite sur un film de Marcel Carné pour qu’au final, ce soit un autre (Maurice Thiriet) qui prenne la relève.
Rappelons la version de Maurice Thiriet (dans une lettre à Jacques Enoch du 29.12.46) :
Les Enfants du paradis sont le type même de l’ouvrage écrit à deux, qui contient de la musique de Kosma adapté et orchestré par moi, des compositions que j’ai faites en paraphrasant ses thèmes musicaux, et de la musique entièrement originale à peu près par tiers égaux.
Finalement, l’exposition sur Les Enfants du paradis à la Cinémathèque Française à l’automne 2012 a été l’occasion de réconcilier ces deux grands compositeurs en leur consacrant une salle montrant le travail de chacun et mettant en valeur leurs talents communs.
Ainsi dans le catalogue de l’exposition (Ed.Xavier Barral), Stéphane Lerouge dans son article Romantisme et dissonances : la musique des Enfants du paradis écrit :
« Ce qui frappe le plus aujourd’hui devant Les Enfants du paradis, c’est l’homogénéité de la partition. Difficile de déceler qu’elle est l’oeuvre de deux compositeurs distincts : la soudure esthétique entre la partie de Kosma (les pantomimes) et celle de Thiriet (les musiques de sources) est quasiment invisible. L’ensemble fonctionne comme un tout, d’autant que Thiriet s’appuie copieusement sur plusieurs thèmes de la pantomime pour le générique début du Boulevard du crime. »
Au final, il est vraiment dommage de voir que ces deux grands compositeurs se sont déchirés à ce point après la guerre (même s’ils semblaient s’estimer beaucoup).
A lire leurs lettres respectives, on voit bien que ces deux grandes personnalités à la sensibilité exacerbée se sont sentis blessé par l’autre, atteint dans leur honneur et leur dignité. On se demande pourquoi leur entourage respectif n’a pas réussi à les réconcilier.
Comme nous le rappelions en début d’article, tous les protagonistes de cette brumeuse affaire sont morts maintenant.
Même si certaines questions demeureront sans réponse, nous espérons vous avoir apporté suffisamment d’éléments pour :
1 – corriger certaines contre-vérités et inexactitudes qui perdurent toujours…
2 – faire réfléchir ceux qui sont intéressé par cette collaboration entre deux grands talents.
Nous mettrons cette page à jour lorsque de nouveaux éléments apparaîtront.
N’hésitez à nous laisser vos réflexions dans les commentaires de cette page.
A suivre…
Philippe Morisson
Georges Mouqué est décédé en 1961, Joseph Kosma en 1969 et Maurice Thiriet en 1972.
La Vitrine consacrée aux partitions de Joseph Kosma pour Les Enfants du paradis – (c) Médiathèque Malher / Cinémathèque Française
La Vitrine consacrée aux partitions de Maurice Thiriet pour Les Enfants du paradis – (c) Médiathèque Malher / Cinémathèque Française
12 – Liens
1 – la page biographique sur Joseph Kosma sur le site des Editions Enoch.
2 – la page sur Joseph Kosma sur le site de la Médiathèque Malher.
3 – lisez sur ce site l’entretien de Joseph Kosma sur Jacques Prévert par dans la revue Image & Son (1965).
4 – lisez sur ce site l’article de Joseph Kosma sur Marcel Carné par dans la revue Ciné-Club (1949).
5 – la liste des oeuvres de Georges Mouqué déclarées à la SACEM.
6 – la liste des oeuvres de Joseph Kosma déclarées à la SACEM.
7 – la liste des oeuvres de Maurice Thiriet déclarées à la SACEM.
***
8 – Ecoutez un enregistrement très rare d’une suite d’orchestre pour le ballet La Nuit Vénitienne (1938) de Maurice Thiriet, datant de 1949 par l’Orchestre national de la radiodiffusion française dirigé par Pierre Michel LeConte sur le site anglais Newstalgia.
9 – La suite d’orchestre de Maurice Thiriet pour Les Visiteurs du soir (1°partie)
[youtube width= »400″ height= »25″]http://www.youtube.com/watch?v=XNskFOjjWR0[/youtube]
La suite d’orchestre de Maurice Thiriet pour Les Visiteurs du soir (2°partie)
[youtube width= »400″ height= »25″]http://www.youtube.com/watch?v=op-tF8wNY3s[/youtube]
10 – Œdipe Roi de Maurice Thiriet, livret par Jean Cocteau.
Enregistré par l’Orchestre National de l’ORTF sous la direction de Manuel Rosenthal le 31 janvier 1972.
11 – Baptiste, suite d’orchestre du ballet des « Enfants du Paradis » (1945) par Joseph Kosma
Direction : Michel Plasson
[youtube width= »400″ height= »30″]http://youtu.be/6dIJyzjOFCk[/youtube]
12 – L’ Hommage à Joseph Kosma dans l’émission Vocations daté du 08 août 1969 avec Pierre Dumayet.
13 – une page biographique sur Maurice Thiriet sur le site du Jardin du temps.
14 – la filmographie quasi exhaustive de Maurice Thiriet sur le site des Gens du Cinéma.
A Claude Torrès : Je trouve particulièrement désagréable de trouver le nom de mon Père, Maurice Thiriet, cité dans vos pages Web au sein d’articles qui le discréditent sans en avoir été informée.
Monsieur Philippe Morisson a eu l’obligeance de me demander mon autorisation pour l’utilisation des lettres et documents afin de rédiger son article. Vous dites qu’il l’a écrit sous ma dictée c’est totalement faux et plus qu’humiliant pour lui.
Monsieur Philippe Morisson, Journaliste et responsable du site Marcel Carné sait ce qu’il a à écrire sans l’aide de personne.
Il me semble que vous l’avez mal lu : cet article n’est pas « un réquisitoire à charge contre Joseph Kosma » en tant qu’homme et compositeur loin de là, mais un réquisitoire à charge CONTRE les « soit disant spécialistes hautement qualifiés » qui entretiennent encore à nos jours, ce qu’ils ont lu dans la presse tendancieuse, contre laquelle Kosma et Thiriet ont lutté de par leurs signatures au bas de la Mise au point.
Ces spécialistes seraient-ils en mesure de justifier leurs témoignages avec des documents officiels comme ceux de : Pathé, Paulvé, Prévert, Mouqué, Thiriet, datés et signés, insérés dans l’article de Philippe Morisson ? Je pense que non car ils ne se contentent que des « on-dit ».
Oui, sur Agnès Capri, je suis en accord avec vous. Elle ne pouvait pas être là. Toutefois Yves Courrière en parle dans son livre sur plusieurs pages : qui croire ? il n’y a pas d’enregistrements sur lesquels se baser.
Pour finir : je vous rappelle que c’est Monsieur Joseph Kosma qui a demandé l’arbitrage, bien qu’il ait d’autres soucis que de réclamer ses droits.
Tout d’abord merci pour votre commentaire. Comme je l’ai indiqué en début d’article, tous les commentaires constructifs sur cette affaire sont les bienvenus.
Mais je laisse le lecteur se faire sa propre idée sur cette affaire par rapport à vos insinuations qui mettent en cause ma probité.
Le lecteur attentif se rendra compte bien facilement qu’il n’en est rien, mais c’est vous que cela regarde.
En quoi cet article est à charge contre Kosma ? Mes recherches ont été faites autant dans les archives de Thiriet que dans celles de Kosma. Je ne prends parti pour aucun des deux, je donne mes sources et je relève des points litigieux que vos confrères ont ignorés par manque de rigueur.
Mais je m’arrête là, car la fin de votre commentaire prouve bien où vous voulez en venir.
Pour le reste, je vais vous répondre personnellement par mail.
Cordialement
Philippe Morisson
Cher Monsieur,
Je trouve particulièrement désagréable de trouver mon nom et mes pages Web citées dans votre article (Je devrais dire celui de Mme Elisabeth Thiriet qui semble vous l’avoir dicté) sans en avoir été informé. Je l’ai appris il y a quelques jours par Mme Thiriet
Cet article est un réquisitoire à charge contre Joseph Kosma sans que personne ne puisse vous contredire. Vous balayez d’un revers de main tous les arguments et les écrits de personnes hautement qualifiées que vous traitez de tendancieux. (toutes mes citations sont identifiées, vous devez donc vous en prendre aux auteurs)
Patrick Bonazza dans “Le Point”
Michel Trihoreau, “La Chanson de Prévert”, Éditions du Petit véhicule
Laure Schnapper « Un hongrois à Paris »dans « Michel Cullin, Primavera Driessen Gruber, Douce France
Irène Inchauspé (Le point) et de Rémi Bedeau (Le Figaro), Main basse sur la Musique (malgré les menaces voilées de la SACEM)
Le lourd passé de la Sacem, Charles Gilbert dans Le Point
La SACEM et les droits des auteurs et compositeurs juifs sous l’occupation, Yannick Simon, La Documentation française
Les lettres de la SUISA sont considérées comme de mauvaise foi
Les dépositions de Carné, Prévert sont mensongères
Toutes vos soi-disant preuves émanent de la SACEM dont l’extension de la mission Mattéoli a montré les contradictions et l’opacité.
Il n’était pas question de revenir sur cette affaire qui aurait fait apparaître quelques autres manquements bien plus graves sur la spoliation des
droits des musiciens Juifs pendant l’occupation
Je constate qu’il manque à votre article un élément important à mes yeux : « Les LOIS ANTIJUIVES de VICHY ».
Par exemple Agnès CAPRI (de son nom Sophie Rose Fridmann) ne pouvait pas chanter en 1941 de Marseille ni être diffusée sur les ondes de Radio Vichy émettant de Marseille. A cette date elle était réfugiée à Alger et interdite des ondes. Elle était Juive
Quand à Kosma en 1944, il apprend l’assassinat de toute sa famille. Il avait je crois d’autre soucis que de réclamer quelques droits.
Je pense que personne aujourd’hui n’est capable d’apporter LA vérité sur cette affaire et ce ne sont pas les propos insistants de Mme Thiriet qui feront la vérité. Elle défend son père, ce qui est louable, mais ne fait pas LOI.
Je constate simplement qu’aujourd’hui Kosma est célèbre et Thiriet inconnu sauf des spécialistes comme moi et mes collègues dont vous ne souhaitez
pas prendre en compte les études.
Il semble que l’histoire ait décidé.
Bien à vous
Claude Torres