« Jouvet n’a pas trahi Jouvet »par HENRI JEANSON paru dans Cinémonde n°899 daté du 27 octobre 1951
Voilà donc terminée la publication des témoignages recueillis par ce journal sur les Jouvet que nous avons connus, admirés, aimés et perdus.
Comme tous ces Jouvet — le Jouvet modeste de Jules Romains ou le Jouvet bricoleur de Marcel Herrand, le Jouvet angoissé de Pierre Renoir ou le Jouvet flegmatique de Marcel Achard — comme tous ces Jouvet se ressemblent !
C’est qu’ils ont une vertu commune : l’amour.
Mille traits, un seul coeur.
Que ce soit dans les théâtres où, avec Léon Noël, il jouait le mélodrame, dans l’atelier de menuiserie du Vieux-Colombier, dans la cabine du bateau qui le conduisait en Amérique, au Conservatoire dans sa classe, à la Comédie des Champs-Elysées dans sa loge, à l’Athénée dans son bureau, à Billancourt sur le plateau du studio ou chez lui, quai Blériot, on ne prend jamais Jouvet en flagrant délit d’imposture.
Jouvet n’a jamais trahi Jouvet. Toujours Jouvet a été digne de Jouvet.
Jouvet était plus qu’un grand artiste : c’était un homme.
Avec tous les défauts, toutes les qualités d’un homme et le génie de Jouvet par-dessus le marché.
C’est vrai qu’il était timide et ombrageux, et secret, et angoissé, et indécis, et entêté, et avare de ses minutes.
Mais c’est vrai aussi qu’il était téméraire, et fidèle, et confiant, et enthousiaste, et prodigue de ses années.
Il disait à Zimmer, la veille de la création de Siegfried :
– Ça ne fera pas un rond.
Mais il ajoutait aussitôt :
– Ce sera un honneur pour moi d’avoir monté c’te pièce.
Il disait à Giraudoux :
– Le seul problème au théâtre c’est le problème du succès, et il soupirait :
– Mais le succès n’est pas une solution…
Humble devant son métier, il manquait de confiance en lui, mais il se jetait dans la bataille avec le désir de vaincre et la volonté d’en finir.
Il n’avait pas d’idée arrêtée.
Pas de doctrine. Pas de conception. Ah ! surtout pas de conception !
« A partir de la première répétition, pour nous comédiens, il n’y a plus besoin de penser mais de sentir », écrivait-il.
Il disait aussi :
« Rien n’est absolu. La mise en scène est comme une prière. Tout y est relatif à la ferveur. »
Et encore :
« Une pièce classique est devenue pour moi, après de longues années de labeur et de pratique, une nuit éblouissante. C’est là un résultat difficile à obtenir. »
Ses mises en scène étaient un peu des enquêtes policières.
Il cherchait des pistes qu’il brouillait ensuite.
Il épiait les personnages et les prenait en filature.
Dix, vingt, cinquante fois il changeait de tactique et bouleversait ses plans…
Il avançait, fureteur, dans les ténèbres.
Il traquait la beauté cachée.
Et puis un jour, tout à coup, le chef-d’oeuvre apparaissait.
Et Jouvet souriait avec un air de dire : « Je savais bien qu’il était là, quelque part. »
Quel jeu de patience que le jeu de hasard du théâtre où Jouvet ne laissait rien au hasard…
Sait-on qu’il répéta Don Juan pendant plus d’une année après y avoir songé toute sa vie ?
Parce qu’il n’osait pénétrer dans les salles où l’on projetait ses films, quelques imbéciles avaient décrété que Jouvet n’aimait pas le cinéma.
La vérité est qu’il craignait de se décevoir.
La curiosité, l’intérêt qu’il portait à l’ouvrage dont il était l’interprète, finissaient toujours par avoir raison de ses craintes.
Je me souviens qu’avant de partir pour la Grèce, il me téléphona sous prétexte de me demander des nouvelles de Lady Paname.
– Alors, ton film est monté ?
– Oui. J’ai vu ce matin la copie standard.
– Ah ! oui. Ah ! tiens. La copie standard, vraiment ? Et tu en es content oui, tu en es content ?
– Si le public en est content, je serai content.
– Tu as bien une petite opinion ?
– Je n’ai aucune opinion.
– Ah ! comme c’est curieux ! A propos, je pars la semaine prochaine. Quand dine-t-on ensemble ? Vendredi ? Veux-tu ?
– Va pour vendredi!
– On pourrait peut-être se voir vers quatre ou cinq heures ?
– Pour diner?
– Oui… parce que… avant de dîner, tu pourrais peut-être organiser une petite projection et me montrer ton film ? Qu’est-ce que tu en penses ?
– J’allais te le proposer.
– Entre nous, hein, la projection, entre nous ! N’invite personne… Je n’aime pas me voir en public, me rencontrer devant des tiers. Moi dans la salle et moi sur l’écran, ça fait déjà beaucoup trop de monde…
Ah ! la pudeur de Jouvet ! Et son trac, donc !
A la deux centième de L’Ecole des Femmes, il tremblait comme au premier soir…
C’est comme ça qu’au bout de quarante ans de trac son coeur a fini par craquer.
Son coeur a fini par craquer et pourtant…
Pourtant, si Jouvet entrait dans mon bureau tandis que j’écris cet article et qu’il se penchât par-dessus mon épaule en me disant :
– A quoi travailles-tu ? Et d’abord pourquoi ne se voit-on plus ? Tu es fâché ? Je t’ai fait de la peine ?
Je n’en serais pas surpris…
C’est une idée qui m’est devenue familière, une espèce de rêve… Je sais bien ce qui se passerait… Ce qui se passera… J’ai tout prévu :
Je ne lui poserai aucune question, je ne lui demanderai même pas par quel chemin il est revenu, je lui répondrai simplement :
– Je ne te voyais pas parce que j’écrivais une pièce pour toi…
Alors, il me dira :
– Ce n’est pas possible… raconte…
Et la conversation continuera… J’ai tant de choses à lui dire.
Henri JEANSON.
Dans ce numéro de Cinémonde on trouve également deux autres témoignages (NDLR) :
Blaise Cendrars : « Il ne croyait pas au parlant. »
Paris, Port-de-Mer !
Je ne pensais plus à un reportage. J’imaginais un film. Et il me revenait le triomphe de Jouvet dans La Folle Journée, d’Emile Mazaud, lors de la création de cet acte, une tragédie à allure de farce psychologique amère, inénarrable, catastrophique, le grand Jouvet remarquable et remarqué, et inoubliable dans le rôle de Touchard, au Vieux-Colombier, ce théâtre ingrat, avant la guerre de 1914, et je voyais Jouvet entraîner mon film, Jouvet, l’animateur.
J’en parlai un soir à Jouvet, lui vidant mon sac d’embrouillaminis et de cocasseries, traçant à grands traits mon sujet, campant son personnage, inventant des gags qui saillaient au fur et à mesure de mon exposé. Jouvet riait aux éclats. Mon histoire de Paris, Port-de-Mer l’amusait. Nous blâmes fort avant dans la nuit. Nous étions « Chez Francis », à la porte de son théâtre et à deux pas de chez moi. Jean Giraudoux devait y situer La Folle de Chaillot. Le Tout-Paris a défilé dans ce grill room à la mode, un ancien bistro de cochers de fiacre qui s’appelait vers 1900 « A la vue de la Tour Eiffel », les soirs de première à la « Comédie des Champs-Elysées ».
Quand l’ami Francis nous mit à la porte, car il se faisait tard, très tard, nous nous quittâmes en riant…
…Mais Jouvet ne paraissait pas s’intéresser à mon affaire. Louis Jouvet n’avait pas encore fait de cinéma, aussi invraisemblable que cela puisse paraître aujourd’hui. Et pourtant cela est. C’était à l’avènement du parlant, donc en 1930-1931, peu de temps après le beau film de René Clair, Sous les toits de Paris, film sentimental qui venait de remporter un succès fou. Jouvet ne croyait pas au parlant. L’affaire en resta là. Quinze jours plus tard, j’embarquais pour l’Amérique du Sud tourner des bêtes sauvages. Je n’y pensais plus.
RAYMONE : « Elle s’évanouira « après » ! »
Je ne saurais mieux témoigner du respect qu’il avait pour le théâtre qu’en rapportant cette anecdote :
Nous jouions alors Le Revizor. Ce soir-là, au moment de faire mon entrée, je fus prise d’un étourdissement. Michel Simon qui était en scène avec Louis Jouvet, murmura entre ses dents « Raymone se trouve mal dans les coulisses.»
Et j’entendis Jouvet répondre, de la même façon, à son partenaire : « Qu’elle entre d’abord… elle s’évanouira après ! »
Quand il aimait les êtres, il ne pouvait se faire à l’idée que ceux-ci pussent le quitter un jour. Je suis restée près de trente ans avec lui, dans sa troupe. Je l’ai suivi presque partout. Le soir où il est mort, mon frère est mort aussi. Ce jour-là, j’ai perdu deux frères.
Je connais tres peu Louis Jouvet,mais les rares fois ou je l ai vu dans des films, je l ai trouve magique. Ce type etait pourri de talent.Dans l article, on parle de Michel SIMON. lUI AVEC RAIMU tronent au sommet de mon Pantheon du cinema francais. Je ne me rappelle pas tout simplement de les avoir vu moyen dans un film. Je crois qu ils ne savaient tout simplement pas etre moyen. Il laissait cela aux autres.Je viens de decouvrir mr Henry Jeanson. Je connais son visage, je ne savais juste pas qui c etait.Cet homme est merveilleux. sa bio sur wikipedia m a enchantee. Quel homme , qu elle constance dans la liberte. Et en plus ces citations me font rire aux larmes. Un pur momment de bonheur.Il a defendu avec brio mr Henri Georges Clouzot a propos de son film Le corbeau. Ce film est sublime et sulfureux. C est vrai qu il a pu derange. Mais ce film est ouahou. Je ne trouve pas de mot. L assassin habite au 21 m a enchante. Clouzot avait du genie.La France est petrie de talent. Et cela dans beaucoup de domaines. Des que ces gens peuvent s exprimer, le resulat estsouvent tres tres bon.Pour ne pas brider le talent, il faut de la liberte. Mr Jeanson pour moi aujourd hui est le symbole de cette liberte, de cette droiture. Il est reste droit dans ses bottes a une epoque ou beaucoup tournait leur casaque. Je suis passionne d histoire, ce qui fait que je ne juge jamais les gens. Je n Y etait pas, qu aurais je fais? je ne sais pas. L histoire m a appris la retenue et la vanite du savoir. plus j essaie de m approche d une verite, plus j ai des questions nouvelles qui se posent. Donc plus je sais , moins je sais.Et si l histoire m interdit de juger, elle ne m interdit pas d aimer. Et j aime monsieur Jeanson. Pour l homme , pour son talent, pour son humour. Merci monsieur Jeanson et respect