Articles écrits sur Marcel Carné

1941 – le fameux article de Vedettes

 

Marcel Carné par Jean Cuvelier

Article paru dans la revue Vedettes n°33 daté du 28 juin 1941

Cet article provient de la collection personnelle du photographe et collectionneur Michel Giniès.

Il y a une légende autour de lui : Disons tout de suite que c’est un homme de tête, et tout le monde comprendra.
C’était l’enfant qui cassait sa tirelire pour s’acheter une lanterne magique et invitait ses camarades du jeudi à la féerie des images lumineuses. La recette de ces matinées récréatives lui per­mettait le dimanche d’aller dans de vrais cinémas voir de vrais films, seul, recueilli et émerveillé, vivant dans l’ambiance extasiée des écrans.

Sa passion ne fait que grandir : à quinze ans, il est présenté par des amis communs à Jacques Feyder, qui est gagné par l’enthousiasme éclatant et la foi dans l’action qui brillent dans les yeux de ce jeune homme. Jacques Feyder a d’ailleurs été le le premier à le lancer dans l’atmosphère grisante du studio.

Mais ses parents étaient sceptiques. A 18 ans, c’est un ulti­matum qu’il leur pose. Il leur suffit cependant de voir la signature de leur fils en bas d’un article pour qu’ils comprennent que sa vocation sera la plus forte. Il venait de débuter dans le journalisme grâce à un concours de critique. Il fait aussi des bandes publicitaires, des films d’entr’acte, et après avoir été assistant de René Clair et de Jacques Feyder, il tourne enfin lui-même un documentaire romancé : « Nogent, Eldo­rado du dimanche ».

En 1936, il est metteur en scène, c’est « Jenny »; en 37, « Drôle de Drame »; en 38, « Quai des Brumes » et « Hôtel du Nord »; en 39, « Le Jour se lève », cascades d’artistes révélés, de critiques plus qu’élogieuses, d’oeuvres étonnantes au style nouveau. A présent, il attend la reprise cinématographique pour donner le tour de manivelle de « Sixième ».

 

Tout comme un vrai Parisien, Carné aime à flâner, le nez en l’air, au hasard des rues, suivi de son chien, le grand amour de sa vie, un caniche couleur de chocolat que Feyder a baptisé « Monsieur ». Jugez de ce qu’il se passe quand il appelle « Monsieur », un peu trop fort, dans une rue un peu trop encombrée.

Il est très jeune et cache jalousement son âge. Il se juge sévèrement, avouant être d’une injustice révoltante, par parti pris, mais il a le culte de l’amitié et ne dissimule jamais ses sentiments. Il dit « je sais reconnaître mes défauts, mais il ne m’appartient pas de dire mes qua­lités. » Il est très nerveux, touche à tout, se crée à la joue droite une chique imaginaire et malmène ses boutons de veston qu’il finit par arracher. Il est gaucher… ce qui lui vaut sans doute d’être particulièrement superstitieux. Toutes les superstitions lui sont bonnes, les plus incroya­bles : n’habite-t-il pas le treizième étage d’un building de la rue Caulaincourt ?

Il mène une vie bohème, se plaisant dans la solitude, adorant les fleurs, les bons vins, la bonne chère et… le swing « Avez-vous entendu Alix Combelle et le Jazz de Paris » enfin ! Détail curieux, il a horreur des photogra­phes et des journalistes (pauvres de nous!) et se méfie des producteurs… Peut-être a-t-il des raisons.

Son entourage lui a trouvé une ressemblance avec Do­nald Duck : il dit toujours coin au lieu de « quoi ».
Il fut présenté dernièrement à un critique qui avait tou­jours dit du mal de ses films :
Enchanté de vous connaître, monsieur Carné; vous avez tant de talent.
Vraiment ? En tout cas, c’est bien gentil à vous qui écrivez le contraire depuis cinq ans.

Talent, esprit, volonté, amour profond de son art, le résultat est assez joli, mais à regarder Marcel Carné un instant dans les yeux, on voit que le chemin qu’il s’est tracé dépasse encore la route parcourue.

 

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