Articles écrits par Marcel Carné

29.03.29 « Les Deux Timides de René Clair » (in.Cinémagazine)

 

Chronique de Marcel Carné paru dans Cinémagazine n°13 daté du 29 mars 1929

« Les Deux Timides » par Marcel Carné

Avant de lire cet article il me parait opportun de remettre les choses dans leur contexte.

Cet article est très important dans la carrière de Marcel Carné car il s’agit de celui qu’il a envoyé (il en a envoyé en tout cinq) qui lui a permis de remporter ce concours (dont nous reproduisons ci-dessous le règlement) de Cinémagazine. Cinémagazine qui était l’un des plus importants magazine de cinéma de l’époque va l’embaucher à la suite de ce concours et Carné y restera jusqu’en 1933.

Ce n’est pas le premier coup de pouce de Carné, fils d’un ébéniste et autodidacte. En effet, l’année précédente il avait été assistant de Jacques Feyder sur le film Les Nouveaux Messieurs au printemps 1928. Et à la suite de cela, il tournera son fameux court-métrage Nogent, Eldorado du Dimanche à l’été ou l’automne 1928. Nogent sera d’ailleurs projeté en exclusivité au Studio des Ursulines début mars 1929. Notons que Carné remporte le concours de Cinémagazine en chroniquant un film de René Clair auprès de qui il sera assistant sur son premier film parlant Sous Les Toits de Paris. Clair l’embauchera après avoir vu Nogent aux Ursulines. Le Monde est décidément petit pour le jeune Carné (il a 23 ans).

Voici le règlement de ce concours :

CONCOURS DES MEILLEURES CRITIQUES
10.000 Francs sont offerts aux Concurrents
Nous rappelons que dans dix numéros consécutifs, chaque semaine sont publiées les cinq meilleures critiques qui nous sont envoyées par nos lecteurs, accompagnées du bon placé au bas de cette page.

RÈGLEMENT.
– La critique doit, autant que possible, s’exercer sur les films les plus récents. Le texte ne doit pas dépasser les limites d’un côté d’une carte postale, tout en restant très lisible Les cartes peuvent être envoyées sous enveloppe. Chaque envol doit porter d’une manière apparente les nom, prénom, profession et adresse de l’envoyeur. Les pseudonymes ne sont pas admis.

Sur les 10.000 francs attribués à ce concours, 5.000 francs sont attribués aux auteurs des 50 critiques retenues par le jury et qui auront été publiées. Chaque auteur reçoit 100 francs immédiatement après la publication de sa critique.
A l’expiration de la dixième semaine, nous publierons la récapitulation des envois et nos lecteurs seront invités à classer eux-mêmes les critiques dans l’ordre de leurs préférences.
Les auteurs des trois critiques qui arriveront en tête du classement recevront : le premier : 2.000 francs ; le deuxième : 1.000 francs ; le troisième : 500 francs.
En outre, 1.500 francs de prix seront à partager entre les trois lecteurs qui auront donné le classement se rapprochant le plus du classement idéal. Le premier recevra un prix de 1.000 francs ; le deuxième, un prix de 300 francs ; le troisième, un prix de 200 francs.

Outre la chronique de Carné, on trouve dans ce numéro les chroniques de La Chair et Le Diable avec Greta Garbo par Mademoiselle Veyrier de Rosny sous bois, L’Ange de la Rue de Frank Borzage par Mademoiselle Roberte Landrin de Paris, Quelle Averse de Douglas MacLean par Marie Gache de Tarbes, Minuit Place Pigale par Henri Marteau de Reims.

« Les Deux Timides » chronique du film de René Clair par Marcel Carné

LES DEUX TIMIDES
Avec quelle impatience attend-on un film de René Clair ?
Observateur attentif, doué d’une fantaisie charmante, il est à peu près le seul, Feyder parti, qui ait compris toutes les possibilités d’un cinéma humoristique. Cela nous a valu des oeuvres délicieuses dont Paris qui dort, Entracte, Le Chapeau de Paille d’Italie! restent les trois sommets.
Narquois sans méchanceté, ironique sans excès, il est – qu’il me pardonne – l’exemple même du titi parisien. Personne ne trouve grâce devant son esprit frondeur et son oeil malicieux.
On pense qu’il s’amuse d’abord en songeant à un film qu’il ne réalise ensuite que pour faire partager son amusement au spectateur. Sa première rencontre avec Labiche l’avait tellement diverti qu’il n’a pu résister au plaisir de le connaître plus à fond. Et c’est, pour notre joie, Les Deux Timides.

Quoi de plus drôle que la plaidoirie de l’avocat novice ? Une souris égarée est la cause de tout un drame. Le timide ne sait plus exactement où il en est. Il recommence sa plaidoirie, bafouille, accélère. Son trouble devenant plus grand, il prend le début pour la fin au détriment de l’accusé qui « écope ». Ce début est étourdissant. C’est ensuite la rencontre avec l’ingénue au cours d’une réunion de famille. « Je veux t’aimer » clame la chanteuse. Hélas, le jeune timide n’osera jamais dire une telle phrase à l’ingénue. Il dissimule, il hésite. Heureusement les filles ne sont pas bêtes à notre époque. Celle-ci a fort bien compris. Et il s’agit maintenant de prévenir favorablement le père. Or, admirez ceci, le père est aussi timide que le pseudo fiancé de sa fille ! Que de complications et de quiproquos ne devra-t-elle pas vaincre pour épouser le prince charmant de ses rêves. Tout cela ne lui sera pas facilité par un troisième comparse, qui n’est autre que l’ancien client du jeune avocat. Celui-là même qu’il avait fait condamner.
Mais raconter un tel film est impossible. Il vaut surtout par les détails exquis qu’il renferme.
Les personnages ne sont plus habillés comme les visiteurs de l’Exposition de 1889. La boutique de confection a été vendue et les pantins des Deux Timides n’ont connu que les successeurs ! Oserais-je dire toute ma pensée ?

D’un comique plus intérieur que Le Chapeau de Paille d’Italie, Les Deux Timides m’ont plu davantage. On y trouve une poésie et une fraicheur délicieuses que n’avait pas permis la caricature d’une époque passée.
Amusé, séduit, on ne crie pas au chef-d’oeuvre, mais on subit davantage le charme d’un esprit spontané, dénué de toute prétention. On fait une large provision de bonne humeur.
Un film de René Clair devrait être dédié à la joie de vivre.

MARCEL. CARNÉ,
7, rue des Moines, Paris (17e),

 

 

Dans ce numéro, on y trouve une photo rare des Nouveaux Messieurs de Jacques Feyder sur lequel Carné a été pour la première fois assistant.

 

Haut de page

 

Leave a Reply