LES BONUS (non retenus dans l’édition définitive)

CHAPITRE 9 : « Si le cinéma n’avait pas existé, qu’eût-il fait ? »

Marcel Carné , Ciné-Reporter (1929-1934)
Marcel Carné , Ciné-Reporter (1929-1934)

Sortie le 10 mars 2016 aux Editions La Tour Verte de notre anthologie des écrits de Marcel Carné lorsqu’il était critique, avant de devenir le cinéaste que vous connaissez.

Disponible dans toutes les bonnes librairies (physiques ou sur internet) mais également sur le site de notre éditeur : www.latourverte.com.

Tarif : 18,90 euros.

CHAPITRE 9 :   « Si le cinéma n’avait pas existé, qu’eût-il fait ? » (Articles sur Jacques Feyder et Françoise Rosay)

Voici l’article que nous n’avons pas retenu dans ce chapitre :

« Comment Jacques Feyder de retour en France a passé son premier dimanche en famille » (Cinémonde – n°147 – 13 Août 1931)

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Collection Philippe Morisson

 

« Comment Jacques Feyder de retour en France a passé son premier dimanche en famille » (Cinémonde – n°147 – 13 Août 1931)

L’Art cinématographique français tout entier peut se réjouir !  Un de ses meilleurs visiteurs, le meilleur sans doute, est revenu parmi nous, après une absence de près de trois années. Foin des arrivées tumultueuses et un tantinet ridicules sous l’œil des cheminots gouailleurs ! Celle de Jacques Feyder a été, au contraire, ce qu’elle devait être : modeste et discrète, tout à l’image de son auteur, ennemi de tout éclat inconsidéré.

Arrivé au Havre dans la nuit de vendredi à samedi, le prestigieux réalisateur de Thérèse Raquin en partait comme le jour blêmissait sur une superbe Packard qui devait le déposer, quelques heures plus tard, devant la magnifique propriété qu’il possède, près de Rambouillet et où Françoise Rosay, sa femme, comptait les heures…

Pendant ce temps, sur un quai de la gare Saint-Lazare, des journalistes faisaient les cent pas…

N’allez pas croire, cependant, que le délicat et ironique animateur des Nouveaux Messieurs dédaigne la presse. Non. Mais les premiers jours de son séjour en France, après une longue absence que lui-même n’avait pas prévue si longue, il veut les passer en famille et au milieu d’amis dont aucun n’a oublié le vide creusé par un départ. C’est uniquement à ce titre que nous avons pu joindre Jacques Feyder vingt-quatre heures après son arrivée.

Dans le salon-bar où nous entrons, il y a là René Clair, venu voir son aîné, pour qui l’admiration qu’il lui porte est connue ; sa femme ; Henri Chomette ; la mère de Françoise Rosay ; Madame Cante, qui a créé des silhouettes fort étudiées dans la plupart des films de Feyder ; le frère de celui-ci et enfin le bon gros Barrois, fidèle second qui, pour l’instant, joue au cow-boy avec le petit Bernard Feyder.

Noblesse oblige : on parle beaucoup, beaucoup, de cinéma. Trois ou quatre fois, le réalisateur de Si L’Empereur savait ça s’est efforcé de détourner la conversation ; peine perdue : insensiblement, chacun des convives revient sur le même sujet dont il subit inconsciemment l’emprise. J’en profite pour interroger Feyder un peu à la dérobade et cueille au vol ses confidences faites sur un ton doux et égal, voilé parfois d’ironie discrète et fine :

Mes impressions sur l’Amérique ? Il faudrait un volume de 350 pages pour les énoncer clairement… et des romanciers qui ont passé aux USA tout juste une semaine m’ont amplement précédé…

« La crise ? elle n’est pas si grave qu’on veut bien le dire, et de toutes les industries américaines, c’est encore le cinéma qui est le moins atteint. les Yankees se priveront plutôt de la paire de chaussures dont ils ont besoin, mais iront au cinéma, distraction à peu près unique dans les petites villes.

« Le cinéma américain : une industrie avant tout. C’est la première idée dont doit se pénétrer tout Européen pour comprendre Hollywood, et si le film made in USA nous semble parfois enfantin, dites vous bien qu’il répond parfaitement à la mentalité de l’Américain moyen.

« Mes projets : tout d’abord, me reposer, et puis, comme je ne retournerai à Hollywood qu’en janvier prochain, j’espère bien réaliser d’ici là un film en France… Non, rien n’est encore décidé.

« L’exportation du film cause beaucoup de tracas là-bas. Les versions étrangères n’ont pas entièrement donné satisfaction telles qu’elles étaient comprises. Reste la synchronisation, possible dans certains cas caractérisés, mais dont l’emploi ne peut être généralisé.

« A ajouter, cependant, un système de production en plusieurs langues dont l’invention revient à Monsieur Thalberg, un des directeurs de production les plus intelligents que je connaisse, et qui pourrait fort bien apporter sous peu un bouleversement complet aux méthodes de travail actuellement en usage. »

Et comme j’insiste :

Je suis tenu au secret et ne puis vous en dire davantage. Mais en compensation, si nous parlions un peu du cinéma français ? Ici que fait-on, que produit-on ? À mon tour, maintenant de vous interviewer ! »

J’aime mieux ne pas écrire ce que j’ai répondu.

Marcel Carné

 

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