1965 – Trois Chambres à Manhattan

l’article de Cinémonde sur le prix d’interprétation d’Annie Girardot à Venise (1965)

 

ANNIE GIRARDOT « Maintenant mon bonheur est complet »

Article paru dans Cinémonde n°1617 daté du 14 septembre 1965

Annie Girardot venait de remporter le prix d’interprétation féminine (la Coupe Volpi) au festival de Venise en septembre 1965 (NDLR).

Annie Girardot – qui prit ses lauriers au Français, mais ce furent des lauriers sauvages, – imposa sa « nature », dès 1955, dans « L’Homme aux clés d’or ». Une nature, une franchise, un caractère. Annie, par sympathie humaine, connut parfois le pire. Mais quel meilleur ! A la scène d’abord (avec Courteline, Cocteau, Arthur Mil­ler) et à l’écran, où les plus grands réalisateurs – Visconti, Astruc, Delannoy, Vadim, Marco Ferreri, Monicelli – firent appel à elle.

En même temps que dans « Trois chambres à Manhattan », nous la reverrons, hautement fantaisiste dans « L’Or du Duc ».

Elle a 34 ans et son clavier est de plus en plus vaste.

 

HEUREUSE ? Oui, je le suis d’avoir obtenu la Coupe Volpi à la Mostra (de Venise.ndlr).
D’abord parce que ce prix met­tra un peu plus l’accent, je pen­se, sur un beau film auquel j’ai cru dès le départ et où Carné a fait un merveilleux travail. Et puis, je suis contente aussi par­ce que les Italiens, cette fois, ont entendu ma vraie voix dans « Trois Chambres à Manhattan ».

Mais si je suis heureuse, je suis aussi essoufflée. Songez ! Quelques heures à peine avant l’attribution du prix, j’enregistrais avec Philippe Nicaud les chan­sons que nous chanterons, sur la scène de Marigny, dans la comé­die musicale « Le Jour de la Tor­tue ». Quel tintouin ! J’ai dû fai­re un sprint vers Orly. Mais, de­puis mes débuts, je sais qu’être comédienne, c’est, avant tout, être moulue, au trente-sixième dessous, et de repartir, et de sou­rire, et de faire, quand il tombe des hallebardes et quand la mi­graine vous accable, comme si vous débarquiez aux Bahamas, telle une fleur avec le prin­temps !

Evidemment, à ces in­convénients qui font partie des « paradoxes » de la vie des ac­teurs, il y a des compensations. Je sais que mon mari, Italien, est ravi que son pays m’ait couron­née. Voyez-vous, à cause aussi de ma fille Giulia, l’Italie est ma se­conde patrie. Mettons que c’est mon corps, et que Paris, c’est ma tête !

On m’a beaucoup demandé si je pensais ressembler à la Kay de « Trois chambres à Man­hattan ». Une femme désabusée, qui aime les hauts tabourets et la pénombre des bars new-yorkais, qui fume, qui a vécu. C’est une femme avec un passé, des hanti­ses, qui boit un peu et se donne à un homme, au hasard, parce qu’il incarne lui-même son dé­sespoir de dépaysé. Ce personna­ge m’a paru très bien « coller » avec moi, en lisant le roman de Simenon, tout comme en tournant le film de Carné : j’étais « dans le coup », comme dit Sartre.

Et pourtant, non, je ne suis pas Kay. Je possède un terrible mo­teur d’énergie ; ça doit se voir dans mes méplats, sur mon front, s’entendre dans ma voix j’ai une volonté indépendante de toute catastrophe, qui m’habite en profondeur. Tenez, je suis celle qui, si elle voyait son jardin ra­vagé par une bombe, dirait : « Tout de même, la vieille table peinte en vert reste debout c’est parfait ! ».

Ma carrière a été à la fois for­midable et, par moments, pas tout à fait comme je l’aurais vou­lue : je pourrais, sans grand mal, y retrancher beaucoup de films. Mais voilà ! Je ne suis pas sûre que, si je n’avais pas tourné ces films sans avenir, j’aurais fait les autres.

Une vie, une carrière d’ac­trice sont faites de hasards, de rencontres. J’estime qu’un acteur doit beaucoup jouer, un écrivain beaucoup écrire, un peintre beau­coup peindre : ils sont faits pour ça. Je ne tiens pas à être « rare », je tiens à être Annie Girardot comme je le sens, toujours sin­cère en face de moi et me jouant à moi-même des farces. Elles peu­vent être bien désagréables mais, elles aussi, sont compen­sées…

Et j’en reviens à cette joie : me dire qu’avec « Trois chambres de Manhattan »,   j’ai eu là encore un beau rôle ; le rôle d’une fille vraie, sans affectation et qui, en définitive, n’est mue que par l’amour… Mon avantage sur elle, c’est que, moi, je crois pourtant à la gaieté, comme j’ai cru aux côtés humoristiques du personnage de Marilyn, sur les planches, dans « Après la chu­te » de Miller. D’ailleurs, com­ment ne serais-je pas optimiste, ayant eu la Coupe Volpi ? Je se­rais bien difficile, avouez !

Annie GIRARDOT.

 

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