Michèle Morgan

Entretien téléphonique avec Michèle Morgan (23 avril 2009)

Entretien téléphonique avec Michèle Morgan

enregistré le 23 avril 2009 et mis en ligne en prévision du 29 février 2010 à l’occasion de son 90°anniversaire. –

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Comme le 29 février 2010 n’existe pas, nous avons fait comme si et décidé de fêter un bel anniversaire à Michèle Morgan à l’occasion de ses 90 ans.

La photographie couleur illustrant cette page a été publiée en 1939 dans le numéro spécial Pâques (n°455) de la revue Cinémonde daté du 29 mars 1939.
Malheureusement, nous ne connaissons pas l’identité du photographe.

 

Le diaporama illustrant cet entretien téléphonique a été conçu exclusivement à partir de diverses archives datant de l’époque du film Le Quai des Brumes, pour la plupart…

RETRANSCRIPTION INTEGRALE du DIAPORAMA ci-dessus – 1°PARTIE –

Vous savez il y a de cela 70 ans. Alors je ne sais plus… Il y a vraiment 70 ans car à l’époque j’étais toute jeune, j’avais à peine 20 ans et encore… Quand j’ai tourné « Le Quai des Brumes » j’avais à peine 18 ans…. Vous savez ? j’avais déjà tourné deux films, j’étais déjà dans le cinéma. J’avais tourné « Gribouille » avec Raimu et « Orage » avec Charles Boyer. J’ai eu beaucoup de chance à cette époque là. Tourner avec Charles Boyer qui venait de tourner avec Garbo était extraordinaire pour une jeune fille de 17 ans.

– Ce qui m’intéresse aussi c’est que vous aviez 18 ans pour « Le Quai des Brumes » mais Marcel Carné, lui aussi était assez jeune, il avait 31 ans.

Mais lui aussi était très jeune, enfin il n’avais pas 18 ans. Il avait une trentaine d’années.

– Justement, est ce que le fait qu’il était assez jeune… est-ce que cela vous mettait à l’aise sur le tournage ?

Oh oui, vous savez à 17 ans on est toujours un peu peureux, j’avais un peu le trac. Mais il avait déjà tourné deux films qui avaient marqué (« Jenny » et « Drôle de Drame »), il était très jeune quand même pour tourner des films aussi importants. Il faut dire qu’il y avait Prévert aussi qui était quelqu’un d’un très grand talent comme tout le monde l’a su. C’était un poète. Mais vous savez ? je ne connais pas très bien la genèse de son histoire par rapport au cinéma. Je ne sais pas à quel moment il a débuté Prévert ?

– Eh bien il a débuté au début des années 30 avec son frère Pierre.

Voilà c’est ça. Et je les ai très bien connus tous les deux. Ils étaient charmants. Ils étaient d’une grande simplicité, pas prétentieux du tout… Je ne sais pas s’ils étaient vraiment conscients de leur talent. C’est ça qui est sympathique…
Quand j’ai lu le scénario du « Quai des Brumes » je me suis interrogée, vraiment, mais j’ai trouvé que le ton était différent de ce que j’avais lu auparavant. J’ai trouvé ça bizarre. Mais je me suis laissée influencée par des gens qui avaient de l’expérience. Je les ai crus et j’ai bien fait. André Daven connaissait très bien le métier car il avait produit plusieurs films auparavant et m’avait engagée pour mes deux premiers films (« Gribouille » et « Orage »). Il m’a dit « Michèle vous devez le faire, c’est un ton nouveau » et j’ai eu la sagesse de l’écouter.
Mais je crois que Gabin y est aussi pour beaucoup parce qu’il m’avait vu dans « Gribouille », c’est ce qu’il m’a raconté. J’avais un joli rôle d’emigrée russe, j’avais l’air d’une pauvre petite, perdue, un peu comme ça et à la suite de quoi il a parlé de moi à Carné et voilà comment les choses se sont faites. J’ai fait un essai sur l’une des scènes (la fameuse de « t’as de beaux yeux tu sais ».ndr) et c’est comme ça qu’ils m’ont engagée.

– Par rapport au tournage du film, Carné a toujours eu une réputation d’être assez dur, autoritaire envers ses jeunes actrices, or j’ai l’impression que le tournage a été plus facile pour vous ?

Oh oui, il n’y a pas eu de problème. Mais j’avais déjà une expérience. J’avais beaucoup étudiée chez René Simon. Je suis rentrée chez René Simon comme élève à 15 ans. Alors j’avais travaillé tous les rôles que les élèves travaillent, les classiques bien sur, de 15 à 17 ans. Et mon premier film « Gribouille », je l’ai tourné avec Raimu alors vous pensez, quand on a un partenaire tel que Raimu, ça donne quelques idées sur le genre de choses que l’on peut faire ! Ensuite j’ai tourné « Orage » avec Charles Boyer puis « Le Quai des Brumes », c’est un beau début, non ?

– Vous dites que ça a été assez facile le tournage avec Carné alors ?

Ah oui absolument. C’était un metteur en scène qui n’était pas… calme. C’était un homme très nerveux. Mais impatient, vous voyez ? j’avais l’impression d’un homme qui était passionné de son métier, qui voulait aller vite. Je n’ai pas eu l’impression d’un homme tranquille ! D’abord parce qu’il fallait faire vite alors il avait toujours hâte que les techniciens soient prêts mais comme beaucoup de metteurs en scène ! vous savez j’ai connu ça pendant 50/60 ans ! Que les metteurs en scène disent « alors, c’est prêt? »… Mais pour moi c’était nouveau tout ça.

– Comment vous dirigeait-il ? Il vous donnait des indications ?

Très bien, très bien. Il donnait de très bonnes indications.

– Il savait précisément ce qu’il voulait de vous ?

J’avais l’impression mais vous savez presque 75 ans sont passés, ça va être difficile de vous raconter ! Il a toujours été très charmant avec moi. Et puis il y avait Gabin aussi qui était là. Et regarder Gabin pour une jeune comédienne, c’est une leçon de comédie… Je n’avais qu’à suivre son ton et ce qu’il faisait. C’était une leçon permanente… Il avait un ton moderne, assez loin de ce que les acteurs de l’époque pouvait prendre comme… Alors moi j’ai eu cette leçon merveilleuse à l’âge de 18 ans. Et ça m’a beaucoup aidée.

RETRANSCRIPTION INTEGRALE du DIAPORAMA ci-dessus – 2°PARTIE et FIN.

– Quelle image retenez vous de lui (Marcel Carné)  ?

Je garde l’image d’un homme pressé et quand j’ai vu le film je me suis rendu compte que c’était… Il faut vous dire que j’avais 18 ans, et vous savez qu’à 18 ans on ne se rend pas très bien compte de certaines choses, on est un peu dans son petit monde à soi. On est très tourné vers soi-même à 18 ans. On a moins l’esprit d’observation. C’est bien dommage mais c’est comme ça ! Mais en tant que jeune comédienne, j’étais évidemment tournée vers ma propre carrière, dans ce qui allait m’arriver et c’est beaucoup plus tard quand j’étais plus âgée, qu’on observe le monde extérieur, qu’on voit les autres… C’est comme ça.

– Est-ce que ça vous étonne qu’après toutes ces années de carrière, que « Le Quai des Brumes » ait autant marqué les esprits ?

Non, ça ne m’étonne pas du tout parce qu’il y avait beaucoup de talent dans ce film. D’abord nous avons eu la chance d’avoir des remarquables images, Schufftan était le chef opérateur du « Quai des Brumes », qui a fait des lumières absolument extraordinaires, je ne sais pas si vous vous rendez bien compte, c’était un climat « Quai des Brumes », qui était beaucoup dû aux images de Schufftan. Plus, la mise en scène remarquable de ce jeune metteur en scène plein de talent et de fougue et puis Prévert ! et puis Michel Simon, Pierre Brasseur… ça a marqué plusieurs générations ! C’est un film qui a marqué le cinéma français. Et je me suis trouvée vraiment… Quelle chance pour moi, remarquable, vous savez ? ça n’arrive pas souvent ce genre d’événement dans la vie d’une comédienne ou d’un comédien… Carné, Prévert, Gabin, pour une jeune comédienne, on a fêté mes 18 ans pendant le film, c’était exceptionnel.

– Je pense que c’est un film qui reste très moderne…

Voilà mais ça c’est grâce à l’ensemble, à Gabin, à Carné, à Prévert. C’est toute l’ambiance qui a été créée et puis les dialogues de Prévert. La mise en scène qui était quelque chose d’accompli. On ne pouvait pas trouver un ensemble plus parfait. Le choix des décors d’Alexandre Trauner, le Havre, l’ambiance, la fête foraine… C’était magnifique et ça existe encore… 60 ans se sont passés !

– C’est pour ça que c’est assez extraordinaire pour moi de pouvoir vous parler…

Profitez-en parce que je ne sais pas combien de temps… Mais enfin je me sens en très bonne forme (rires)

– Oui ça s’entend !

Bien sur. Voilà…. En tout cas merci de vous intéresser… C’est très bien de vous intéresser… à Gabin au « Quai des Brumes » et à tout ça. C’était le très beau temps du cinéma… Ce n’était pas un cinéma débutant mais c’était encore un jeune cinéma. Il y a eu de très jolis films à l’époque et il y avait de grands metteurs en scène, Renoir, Carné et d’autres. Oui c’est vrai qu’on a fait de beaux films à l’époque.

 

 

Ces couvertures sont parues dans les numéros 494 et 497 de la revue POUR VOUS datés respectivement du 04 mai 1938 et 25 mai 1938.
Le film « Le Quai des Brumes » était sorti le 18 mai 1938.

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