1947 – La Fleur de l’Age

l’article de Cinévie daté du 22 juillet 1947


LA FLEUR DE L’AGE (1947)
Cinévie – n°95 – 22 juillet 1947

Photographies de l’article

Aux « Enfants au Paradis » et aux « Portes de la Nuit », Marcel Carné va faire succéder un film sur l’enfance délinquante qu’il a d’abord appelé « L’île des enfants perdus » et, ensuite,
« La Fleur de l’Age ». Cent cinquante techniciens secondent Marcel Carné. Le Q. G. du film est une petite auberge du Palais, le port principal de Belle-île-en-Mer. La Fleur de l’Age est un film de gosses : les rôles principaux seront tenus par deux jeunes que Carné compte lancer avec cette œuvre : Anouk Aimée (la fille de Catherine Carrey) et Claude Romain : un jeune détenu tuberculeux qui meurt peu avant la fin du film.
Huit vedettes dont Arletty, Serge Reggiani, Carette, Paul Meurisse, Martine Carol, Maurice Teynac, prêtent également leur talent au metteur en scène.
Trois semaines durant, une tempête effroyable contraignit toute la troupe à l’inaction. Or, les semaines de Carné coûtent environ 5 millions, ce qui fait que 15 millions sont déjà engloutis. Heureusement, le beau temps a fait sa réapparition et Marcel Carné pense pouvoir terminer le film dans les délais prévus.

Ce qui signifie que vous le verrez en janvier prochain.

Belle-Ile-en-mer, juillet.

A Quiberon, nous nous embarquons pour Belle-Ile. Pas un nuage ne vient ternir cet horizon mouvant dont la clarté aveugle le citadin. Un ravissant yacht dont les cuivres multiplient les chauds rayons du soleil et que Carné a fait venir spécialement de St-Nazaire nous dépose, dans un nuage d’écume, au port du Palais.
Le Palais, ce n’est pas seulement sa double jetée, son phare mutilé par le débarquement, ses pêcheurs vêtus de bleu marine, ses dizaines de filets bruns séchant sur la pierre brune des quais, c’est aussi, c’est surtout pour nous le Q.G. de Marcel Carné qui a choisi ce port pour théâtre de La Fleur de l’Age, dernier film avant son départ pour l’Amérique.


La Fleur de l’Age, ce fut L’Ile des enfants perdus, une sombre histoire d’amours enfantines que l’on doit en partie à l’imagination de Jacques Prévert. En partie, car Belle-Ile, ce site enchanteur, sans route ni sentier, où les paysages verdoyants alternent avec les plateaux rocailleux et les falaises abruptes avec les golfes romantiques d’où l’on voit les phares s’estomper dans le lointain, a depuis fort longtemps la spécialité des bagnes d’enfants.
En 1830, une effroyable révolte de gosses qui fit beaucoup de petites victimes a laissé dans les légendes une trace de sang et d’amertume qu’un cinéaste se devait d’exploiter et de venger un jour.


Le minutieux Marcel Carné a voulu tourner son film à l’endroit même où périrent, il y a 117 ans, de pauvres gosses. Il n’en fallait pas moins pour enchanter ses techniciens, les vedettes et la figuration qui, vous vous en doutez, est aussi jeune que nombreuse. Aux côtés de vedettes chevronnées telles Martine Carol, Jean Tissier, Arletty, Paul Meurisse, Maurice Teynac et Carette, nous apercevons sans cesse, superbes d’assurance et rayonnants d’un bonheur qu’ils ne cherchent pas à dissimuler, les vraies vedettes du film, ceux que Carné va lancer, c’est-à-dire Anouk Aimée (15 ans 1/2), la fille de Catherine Carrey, et Claude Romain (17 ans), les deux personnages principaux de ce drame de gosses.


Tourner un film laisse de nombreux loisirs, sinon à l’opérateur Roger Hubert, du moins aux vedettes… Une fort jolie plage que surplombe une falaise de granit, solarium idéal, offre aux « cinéastes », comme les appellent indistinctement les gens du pays, la possibilité de se livrer à des ébats nautiques aussi variés qu’imprévus pour les « indigènes ».

C’est ainsi qu’ils peuvent admirer Martine Carol dans le plus simple appareil, car la jolie vedette ne veut pas avoir la poitrine bronzée comme un Yaourt, pour employer les termes consacrés ! Lorsqu’ils cherchent Martine, leur idole, ils trouvent Anouk Aimée, la grande amie et confidente de celle qui s’appelle elle-même « La joyeuse suicidée ». Anouk, elle, préfère l’excursion et lorsqu’on la voit cabriolant dans les pâturages avec son air de cavale sauvage et ses longs cheveux au vent, on trouve que le métier de comédienne a parfois de bons côtés.


Le soir, dans les chambres, fourbus par les longues randonnées, le visage tanné par le vent, alors que seul le phare jette une lueur clignotante sur l’île endormie, les vedettes pensent longuement à ceux qui de l’autre côté du port, parqués à l’ombre de grands murs tristes, connaissent une vie sans joie, sans espérance et sans amour… Le pénitencier de Belle-Ile existe toujours et ses jeunes pensionnaires ont compris qu’avec les cigarettes passées en fraude, les vedettes de La Fleur de l’Age leur donnaient aussi leur coeur.





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