1939 – Ecole Communale

l’article de la revue Cinémonde daté du 09 août 1939

 

« Ecole Communale » un projet inachevé de Carné et Prévert – article paru dans Pour Vous n° 563 le 30 août 1939

Cet article m’a été aimablement fourni par Guillaume Christophe-Huart et Albert Crance (cousin de Marcel Carné)

– MIS A JOUR LE 20 AVRIL 1015 –

Contrairement à nos informations, cet article ne figure pas dans ce numéro de Pour Vous mais dans celui de Cinémonde daté du 9 août 1939 (n°564).
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Au delà de l’aspect anecdotique de cet article, il demeure important dans la carrière de Marcel Carné car il s’agit de l’un des rares articles consacré à Ecole Communale. En effet, ce film, basé sur un scénario d’Henri Jeanson, ne se fera pas et fera partie de la longue série de projets inachevés de Marcel Carné.
Les photos qui illustrent cet article sont donc exceptionnelles, malheureusement le photographe qui les a prise est inconnu.

A la fin du tournage du Jour se Lève, Carné avait voulu tourner une adaptation du fameux roman de James Cain, Le Facteur sonne toujours deux fois. Le film devait se faire avec Gabin, Viviane Romance et Michel Simon mais le projet ne se fit pas pour d’obscurs raisons liés (d’après Carné) au « manager » de Viviane Romance, Georges Flamant, le Dédé de La Chienne le film de Renoir.

Puis Carné est contacté par le producteur Arnold Pressburger grâce à l’agent Michel Koustoff, un ami du scénariste d’Hôtel du nord : Henri Jeanson. Le scénario de Jeanson s’appelait donc Ecole Communale, Carné et Pressburger quant à eux prévoyait d’attribuer le rôle titre à Arletty. Notons que le frère de Jacques Prévert, Pierre, aurait également participé au scénario. Le point de départ d’après l’autobiographie de Carné est celle d’une mère d’un petit garçon d’une dizaine d’années, marchande rue Mouffetard, dont l’amant (ouvrier) reconnait dans le directeur de l’école du petit l’instituteur qu’il avait eu quand lui-même était gamin à Levallois. Carné en compagnie de son assitant Pierre Blondy commença la préparation du film et notamment la recherche des gamins du film (c’est le but de l’article ci-dessous). Mais le début de la guerre mettra un terme à ce projet.

D’ailleurs cet article est paru le 30 août 1939 et l’Allemagne envahit la Pologne deux jours plus tard ce qui marque le début de la seconde guerre mondiale !
Carné sera affecté à Coulommiers au 606°régiment de pionniers et partira le 03 septembre 1939.
Arnold Pressburger lui partira à Hollywood où il produira The Shanghai Gesture en 1941 avec Marlene Dietrich et surtout Les Bourreaux meurent aussi/Hangmen also die de Fritz Lang en 1943.

Pour refermer le chapitre Ecole Communale dans la carrière de Carné, d’après le livre de Bernard-G Landry (Marcel Carné, ed.Jacques Vautrain, 1952) la fiche technique du film est celle-ci :
Scénario : Henri Jeanson et Pierre Prévert
Dialogue : Henri Jeanson
Musique : Maurice Jaubert
Décors : Alexandre Trauner
Production : A.Pressburger
Interprétation : Arletty, Andrex, Corinne Luchaire, Pierre Renoir.

 

A son tour Marcel Carné descend dans le monde des gosses…
il cherche le « français moyen de 10 ans »

par Jacques Berland

La porte grince sur ses gonds. Nous entrons de plain-pied dans une grande cour, au sol de terre battue. De trois côtés, des murs bas qui n’ont pas l’air de limiter l’espace. Sur le quatrième, un baraquement d’un étage. Et partout de la lumière ! De la lumière et des cris d’enfants !

Des bandes joyeuses sont dispersées aux quatre coins. C’est un envol incessant de tabliers multicolores : des bleus, des roses, des blancs, des noirs, des gris, des bis.
Chat !
Tu m’as pas touché.
J’t’ai pas touché ?
Non, tu m’as pas touché.
Oh ! menteur…
La discussion s’arréte là. Chacun repart de son côté, à toutes jambes.
Mais quelques gosses aperçoivent soudain Marcel Carné.
Alors brusquement cessant leurs jeux, ils courent vers nous en criant :
V’la l’cinéma ! V’la l’cinéma !


Marcel Carné, pour eux, en effet, n’est plus un inconnu. Il est déjà venu leur rendre visite plusieurs fois. Tout à l’heure encore, dans la voiture, il me précisait quelques détails sur la préparation d’Ecole Communale, le film qu’il va tourner et pour lequel nous sommes ici.
Avec Ecole communale, me disait-il, je voudrais faire un film entièrement différent de ceux que j’ai faits jusqu’à maintenant. Le scénario qu’Henri Jeanson est en train d’écrire quelque part sur la côte bretonne sera moins un scenario d’aventures qu’un scenario d’observations. Nous voudrions montrer des enfants qui vivent, avec leurs qualités et leurs défauts. Pas de gosses d’exception, non, des gosses qui ont des parents qui les aiment bien, qui les sermonnent de temps en temps, mais qui les gâtent aussi entre les sermons. C’est pourquoi, dans les gosses que nous cherchons pour la distribution, nous ne prenons pas des physiques à « fortes têtes ». Ce que nous voudrions surtout c’est que le film laisse après, une impression d’ensemble, plutôt que deux ou trois têtes de gosses précises.
– Comment opérez-vous pour les trouver, « vos » gosses ?
Je voyage un peu à travers Paris. Je visite quelques-uns des patronages de vacances qui existent dans toute la proche banlieue. Là où nous allons par exemple. Le plus difficile, d’ailleurs, hors des patronages, c’est d’aborder les gosses. Vous n’avez pas idée de la méfiance qu’ils ont envers l’étranger qui leur adresse la parole. Ceux que je remarque je leur remets une lettre pour leurs parents, demandant à ceux-ci de bien vouloir passer au bureau tel ou tel jour avec leur enfant, vêtu de son vétement de tous les jours.
– Il s’en présente beaucoup ?
Presque tous.
– L’attrait du cinéma.

 

Pour l’instant, nous sommes entourés, pressés, par toute une armée de petits bonshommes qui s’époumonnent tous en même temps.
M’sieur, moi, inscrivez-moi, M’sieur.
Moi, M’sieur, j’sais loucher, M’sieur. regardez.
M’sieur, c’est moi qu’est l’plus fort.
Moi, M’sieur, inscrivez-mot, M’man, elle dit que j’suis phonogétique.
Moi, m’sieur, j’peux faire du cinéma, mes parents i’veulent bien.
Les appels au calme de la directrice, les coups de sifflets impérieux de la surveillante, rien n’y fait… Tout ce petit monde est en ébullition. Marcel Carné et son assistant Blondy n’arrivent pas à s’entendre non plus, bien entendu. Autour d’eux, cinquante petits bras se hérissent, redoutables avec leurs petites mains pleines de la poussière des jeux. Une petite fille se glisse au premier rang. Elle tire Marcel Carné par la manche et, dans le brouhaha, elle lui confie à l’oreille :
M’sieur, moi j’me suis frisée, c’matin, parce que j’savais que vous deviez venir.
Elle a sept ans.

 

Dans le mur du fond, une petite porte conduit à la cour des grands.
La cour des grands ! Nous y voici. Les « grands » ont trois ou quatre ans de plus que les « petits ». C’est-à-dire qu’ils ont 11 à 12 ans. Ce sont des personnages. Ils se montrent sérieux, prêts à la réplique, à la discussion. Il y en a qui trouvèrent derrière eux leur frère, plus jeune. Et alors ceux-là affectèrent un air de condescendance et d’autorité.
Les filles sont plus naturelles. Beaucoup d’entre elles ont déjà dans les mains les soucis du ménage. La mère travaille. Il y a d’autres enfants à la maison. Elles font les courses, le nettoyage. Elles sont ménagères.
Dans cette cour, on a déjà une vision de la valeur des choses de ce monde.
Là-bas, dans le coin, à notre arrivée, les garçons et les filles occupés aux agrès ont lâché le trapèze, la balançoire, la corde lisse pour venir vers nous d’un pas trainard. L’un d’eux s’avance le premier et s’adresse à Marcel Carné :
Pardon, m’sieur, m’avez donné une lettre l’autre jour pour aller m’présenter, mais n’pourrai pas y aller, pa’c’que j’pars demain en colonie de vacances.
– Moi, c’est la même chose, poursuit un autre garçon.
Et toi, tu pourras venir ? demande Marcel Carné à un troisième !
Moi oui, j’reste à Paris. – Tu dois savoir des fables. Tu ne veux pas nous en réciter une, pour voir.
Non, mais dites donc, on n’est pas à l’école en ce moment. Et pis d’abord, pourquoi j’réciterais ?
Pour nous faire plaisir.
Le gosse, une petite frimousse chiffonnée fleurie de taches de rousseur, cherche d’un regard l’acquiescement de la bande, se fourrage un instant la tete et entame sur un ton de rengaine Le Chêne et le Roseau. Le chêne un jour dit au roseau…
Comme par enchantement, le silence s’est fait dans la cour des grands. Les deux moniteurs eux­memes se sont approchés et regardent leurs petits pensionnaires d’un regard bleu-tendre.

 

Tout près de nous, s’élève le logis de planches où l’on s’abrite de la pluie. Au frontispice, on peut lire : « Enfants, soyez les bienvenus ». Nous écoutons toujours.
…Le moindre vent qui d’aventure…
De l’autre côté du mur, chez les « petits » des voix pures chantent des chansons :
Je chante. Je chante soir et matin… Je chante sur mon chemin.
Il est, par moment aussi, question de Prosper. Charles Trenet est à l’honneur…
…Je plie et ne romps pas.
Comme il disait ces mots…
En effet, comme notre jeune « vedette » disait ces mots, la porte de communication s’entr’ouvre, et un « bout de chou » de quatre ans, tout blond, tout rose, passe par l’entrebaillement une tête, absolument éberluée, en chantant, un doigt dans le nez :
Dans un carrosse, gros comme une noix… Jean de la Lune…
L’effet est magique. La Fontaine est brusquement lâché pour Jean de la Lune. Nous éclatons tous de rire. Marcel Carné, le premier, reprend son sérieux.
Voilà ce qu’il faudrait rendre, dit-il, mais est-ce possible ?

Jacques Berland.

 

Comme beaucoup de journalistes et de critiques de cinéma, Jacques Berland a continué par la suite sa carrière dans le 7° art. Il fut en effet scénariste et dialoguiste notamment en 1952 de La Mome vert-de-gris de Bernard Borderie avec Eddie Constantine.

 

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2 Responses to “l’article de la revue Cinémonde daté du 09 août 1939”

  • Jacques Berland, un homme de très grande valeur humaine. Oublié, complètement, quelle injustice ! Non seulement il était un dialoguiste talentueux mais un ami fidèle, un homme généreux toujours prêt à rendre service. je crois que certains ont vraiment abusé de sa gentillesse et ont contribué à hâter sa disparition prématurée. J’aimais beaucoup Jacques.

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