Articles de presse sur Suzanne Cloutier

1950 – « la vedette que trois grands réalisateurs ont choisie » – l’Ecran Français

 

« Suzanne Cloutier, la vedette que trois grands réalisateurs ont choisie »

Article paru dans le numéro 265 de l’Ecran Français daté du 31 juillet 1950

par Bob Bergut

C’était la dernière du Ho­mard qui ne pense pas au Théâtre Edouard VII. Pour la dernière fois, Suzanne Cloutier venait d’être Miss Pratt. Elle se démaquillait dans sa petite loge aux murs peints à la chaux. Dans un coin, des fleurs… un bristol, sur l’unique glace de la loge, nous ap­prit qu’elles venaient d’Orson Wel­les.

Tout en enlevant son fond de teint ocre, Suzanne Cloutier répondait à mes questions… et j’admirais la courbe pure de son profil.

Mon père est éditeur-imprimeur du roi, à Ottawa, quelque chose comme votre directeur de l’Impri­merie Nationale. Je suis née à Ottawa, d’un père canadien français et d’une mère semi-irlandaise… La date ?… Un 10 juillet… J’ai cinq frè­res et sœurs dont je suis l’aînée.

Élevée dans un couvent à Trois-Rivières (Canada), puis à Montréal Suzanne Cloutier était destinée à être religieuse… Elle avait dix-sept ans, et n’était pas du tout décidée à revêtir la bure de nonne. Elle s’enfuit du Canada avec pour tout bien son manteau de fourrure. Le manteau paya le voyage. New-York!

L’immense ville effraya la menue Suzanne Cloutier. Elle fut manne­quin, cover-girl, puis elle rencontra la première chance de sa vie : le metteur en scène George Stevens, qui lui conseilla un cours d’art dra­matique et la présenta au grand ac­teur américain Charles Laughton. Engagée séance tenante dans la tour­née Laughton, Suzanne joue Juliette, Ophélie… toutes les tendres héroïnes de Shakespeare. Elle suit Laughton à Paris, où elle rencontre Louis Jouvet : «…Il faut… que tu perdes ton accent… »

Après des semaines de travail… et l’estomac vide, Suzanne Cloutier passe une audition en anglais de­vant Jean Dasté qui ne comprend pas un mot de la langue de Shakes­peare, mais qui l’engage pour jouer Marianne dans Les Caprices de Marianne.

Sa deuxième chance : ayant ren­contré Julien Duvivier à Hollywood, Suzanne Cloutier se présente pour tourner un bout d’essai pour Au Royaume des cieux. Miracle ! Du­vivier se souvient d’elle… et lui confie le principal rôle féminin celui de Maria. Suzanne avoue avoir eu peur.

La troisième chance : Orson Wel­les tourne Othello et il lui faut une Desdémone. Suzanne réussit où tou­tes ont échoué ; elle est Desdémone. Orson Welles lui décolore les che­veux, lui fait faire des essais, l’ou­blie, déclare : « Je l’ai adoptée car je n’avais personne en vue.» Puis deux mois après crie au génie, ren­contre Marcel Carné qui recherche une actrice pour Juliette ou la Clé des Songes et lui conseille Suzanne…

Encore cinq jours de tournage en Italie et Othello sera terminé.

Elle tourne depuis deux jours Ju­liette ou la Clé des Songes de Mar­cel Carné.

Elle termine son rôle ce soir dans Le Homard qui ne pense pas, une satire d’Orson Welles sur Hollywood :

–  C’est toujours triste une «dernière», n’est-ce pas ?…

Une voix d’homme de derrière la porte conclut notre conversation : « Videz vos loges, m’sieurs dames, c’est la dernière !… »

Bob BERGUT


 

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