Nathalie Nattier

1949 – Article paru dans Cinémonde (avec Yves Montand)

 

Nathalie Nattier et Yves Montand

Article paru dans l’hebdomadaire Cinémonde n°752 le 03 janvier 1949

Dans le style « Que sont-ils devenus? », cet article remet sur le devant de l’actualité les deux acteurs principaux des « Portes de la Nuit ».
C’est l’occasion de se rendre compte comment, près de trois ans après la sortie du film, étaient perçus par le grand public Nathalie Nattier et Yves Montand. L’article rédigé à trois mains nous raconte ce qu’ils ont fait depuis et quels sont leurs projets.
Nathalie Nattier parle ainsi du film de Charles Spaak qu’elle vient de tourner et d’un roman mi-fiction mi-autobiographique qui n’a hélas jamais vu le jour.
Quant à Yves Montand, il parle de sa rencontre avec Francis Lemarque, de son intérêt pour la poésie de Prévert.

Les crédits photographiques appartiennent à Rivoire. Tous droits réservés.

L’article de Paul DIDIER-SERDET sur Nathalie Nattier
L’article de Claude DUFRESNE sur Yves Montand

 

Le couple vedette des « Portes de la Nuit » attend encore sa deuxième chance cinématographique

Il y a deux ans, ou à peu prés, tout Paris attendait la sortie des « Portes de la Nuit ». Du Carné, dernière cuvée. Un grand film du petit Marcel. Du petit Marcel, grand metteur en scène d’alors.

On savait tout des « Portes » et la presse avait tiré à la ligne sur la reconstitution en studio de la station Barbès. Carné avait arraché à ses producteurs des millions pour ces décors immenses !
On savait aussi et surtout que les rôles avaient été créés par Prévert pour Gabin et Marlène. Mais il y avait eu des mots entre réalisateur et interprètes éventuels. Et des mots avec Gabin ça a rarement plus de cinq lettres. Alors le couple rêvé s’était dérobé. Ce qui est d’autant plus malheureux que c’était pour faire par ailleurs un film médiocre.

Et comme disait le publiciste avec esprit : « Les Portes de la Nuit » s’ouvraient sur le succès. C’était une formule. Public et critiques en eurent une autre. Pas plus spirituel mais tout aussi imagée : « Les Portes de la Nuit » devinrent « Les Portes de l’ennui ». Jeu de mots atroce. Imbécile comme tous les jeux de mots. Mais jeu terrible où Carné et son équipe furent battus. A plates coupures, puisqu’il s’agit, au fond, de finances : Et injustement.

Car, ô mes confrères et toi public (la forme directe est soudain nécessaire à mon éloquence), qu’avez-vous reproché aux Portes de la Nuit ?

– Certaines longueurs.
– D’accord. Bien que si vous voyez ce film maintenant il vous semblerait peut-être très nerveux par rapport à toute une partie de la production. Et puis, au moins, il y a une intrigue, il y en a même plusieurs.
– ça, c’est vrai.
– Ah ! vous voyez, je marque un point. Mais où je vais marquer un but irréparable, c’est si je vous fais avouer que votre plus grand reproche aux « Portes de la Nuit » c’est qu’il n’ait pas été interprété par Marlène et Gabin… Vous ne dites plus rien. Vous avouez donc. Eh bien ! Puisque vous êtes sur la voie des aveux, reconnaissez que ce reproche est malhonnête.

Sans doute s’ils avaient été là, ça aurait changé bien des choses. Si Gabin avait parlé à Marlène de l’Ile de Pâques et réciproquement, on n’aurait pas eu envie de rigoler comme avec Montand et Nattier. Et lorsque Marlène et Gabin se seraient étreints sur un divan de hasard on aurait cru à leur ardeur, à leur désir, ce qui n’était pas précisément le cas avec leurs remplaçants.

Mais une fois acquis ce malheureux à priori de deux débutants remplaçant deux des meilleurs acteurs du cinéma actuel, une fois reconnu le fait que Carné n’est pas un de nos meilleurs directeurs d’acteurs, il faut bien constater la valeur, la beauté, la grandeur et la poésie de l’ensemble de l’oeuvre.

L’atmosphère donnée à la fois par le scénario de Prévert et la mise en scène de Carné – atmosphère magnifiquement soutenue par cette chose merveilleuse : la musique de Kosma – est une réussite trop rare pour qu’on ait le droit de la négliger et de faire semblant de n’y être point sensible.

Si vous êtes honnêtes – et pourquoi chers lecteurs et chers critiques, ne le seriez-vous pas une fois de temps en temps ? – reconnaissez que vous avez encore dans les oreilles et dans les yeux des moments comme la mort de Reggiani ou la valse dans le bric à brac. Reconnaissez que le rôle de Pierre Brasseur – et la façon dont celui-ci l’interprétait – est une des meilleures choses du cinéma français. Reconnaissez aussi que – reconstituée peut-être abusivement – la station de métro Barbès a quand même de bien beaux moments : plus beaux que nature. Peut-être bien à cause des décors de Trauner.

Tout cela pour en venir à quoi ?

A ce que tout le monde a été injuste avec « Les Portes de la Nuit » et que si ce film faisait une seconde carrière elle serait peut-être bien meilleurs. Ce qui nous permettrait de voir tout de même un film de Carné. Il y a tellement longtemps qu’on n’a eu ce plaisir ! J’imagine assez volontiers un slogan publicitaire de ce genre : « Les Portes de l’ennui » redeviennent « Les Portes de la Nuit », le tout dernier film de Marcel Carné.

Tout cela pour en arriver aussi à dire que Nathalie Nattier et Yves Montand – qui ont peut-être du talent — ont fait les frais de l’aventure, ce qui n’est pas tellement juste.

Tout cela pour en arriver à cette constatation que si l’on faisait un classement des vingt meilleurs films français de ces deux dernières années. « Les Portes de la Nuit » devraient logiquement y figurer. Et pas à la vingtième place.

Et tout cela – rassurez-vous, c’est la conclusion – pour constater que le tandem Carné-Prévert était et est encore notre meilleur atout, et que des gens de cette taille devraient être contraints au travail. Au lieu de se heurter à tous les obstacles.

Car un film de Carné-Prévert, même imparfait, est une réussite et, même déficitaire, une bonne affaire sur le plan général.

Robert Chazal.

 

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…et NATHALIE NATTIER devient la Secrétaire de Fernand Ledoux

 

Nathalie Nattier se fit remarquer au Théâtre de Poche. Débuts au cinéma dans « L’Etrange Destin », « L’Idiot », « Nuits d’alerte », « Les Portes de la Nuit », « Le Château de la dernière chance ». Joua une ou deux pièces plus ou moins médiocres, avant de faire sa rentrée au cinéma dans « Le Mystère Barton ». Joue actuellement au théâtre Gramont « La Semaine anglaise ».

Que nous sommes loin de l’époque héroïque des « Portes de la Nuit » ! Loin aussi de ces jours où des centaines et des centaines d’images, la représentant, étaient distribuées à tous les vents, rendant ainsi célèbres, en un instant, un visage curieux aux pommettes légèrement saillantes, des yeux étrangement bleus et un sourire étonné de tout ce bruit fait autour d’elle…

Rien n’est plus difficile, en effet, à une actrice de cinéma ou à celle qui veut le devenir que d’avoir à supporter les conséquences d’un début dont la presse s’est emparée en le qualifiant de triomphal, avant même que l’œuvre ne soit sortie. C’est parfois la montée en flèche, mais, le plus souvent – et les exemples ne sont pas rares – la désaffection immédiate et il faut à l’artiste qui, trop gâtée alors qu’elle tourne, se trouve soudain mêlée à un échec dont elle n’est point personnellement responsable, de longs mois pour qu’enfin elle trouve grâce devant de nouveaux producteurs, intelligents pour comprendre que cet échec ne lui est pas imputable.

Voilà peut-être pourquoi Nathalie Nattier n’a point encore pris à l’écran la place que certains lui avaient attribuée alors que les studios de Joinville, où régnait Carné, bruissaient de son nom mille fois répété. Aussi le théâtre se l’est appropriée avant qu’elle ne fit véritablement sa rentrée sur le plateau avec « Le Mystère Barton », réalisé par Charles Spaak.

 

Je l’avais entrevue à Saint-Maurice, au cours d’une scène, et elle était la partenaire provisoire de Fernand Ledoux. Elle jouait là un rôle de secrétaire : robe simple, coiffure qui donnait à son visage un éclat curieux et fascinant et des gestes qui n’étaient que ceux d’une ingénue, corrigés, mais à peine, par la lueur parfois inquiétante et cruelle de ses yeux pers.

Elle m’avait donné rendez-vous pour le lendemain, et chez elle. Le hasard fit que nous nous rencontrâmes ailleurs, dans un intérieur qui n’était pas le sien. Je le regrettai aussitôt et voici pourquoi : nous ne connaissons une femme, une artiste, et vraiment bien, que lorsque nous pouvons la situer dons l’ambiance même où se déroulent ses jours, où elle pense, aime, souffre ou est heureuse. Ridicule complexe peut-être, et qui nous vient d’Estaunié pour qui les « choses ont une vie, une âme faites de l’âme et de la vie de ceux auprès desquels elles se tiennent », mais complexe qui, à l’expérience, ne manque pas de nous faire découvrir la véritable personnalité des gens que nous admirons ou aimons.

Je la vis donc ailleurs, quelque part sur la rive gauche. Quatrième étage d’un immeuble donnant sur un carrefour agité et prenant le soleil et le ciel de Paris dès le matin. Elle était heureuse : elle en avait terminé avec « Le Mystère Barton » et déjà commençait à étudier un rôle important pour une pièce destinée au théâtre Gramont. Cela servit de prétexte pour qu’elle nous montrât ses « costumes » : une robe du soir en mousseline mauve et rose d’où ses épaules jaillissaient rondes et polies et dont le corsage moulait sans artifices la courbe idéale d’une poitrine gonflée, un déshabillé d’une ingénuité provocante devant lequel nous demandâmes grâce, une robe d’après-midi, que sais-je encore ? Cela sortait de chez Lanvin, de chez Hermès ou d’ailleurs. Infidèle qu’elle était en les portant : j’avais vu, en effet, que la robe qu’elle avait abandonnée et jetée sur le fauteuil, pour plaire au photographe, portait la griffe de Vera Boréa.

Elle sourit à ma remarque. Infidélité ? Non. Simple changement de goût imposé par le théâtre. J’aurais pu sourire à mon tour et lui dire que cette infidélité était une caractéristique féminine et sans importance lorsqu’elle se limitait au désir de se renouveler extérieurement. Mais cela nous aurait entraîné sur un autre plan, un plan privé, intime, que je déteste aborder lorsque la discussion ne m’intéresse pas personnellement.

 

Mieux valait parler de littérature. La « rumeur publique » disait en effet que Nathalie Nattier préparait un roman et je voulais en avoir la confirmation.
C’est exact. Non point strictement un roman, mais une sorte de biographie…
– Déjà ?
Elle se récria :
Comprenez-moi bien : la biographie que j’écris n’est pas la mienne, mais celle d’une pauvre fille rejetée par le monde et qui devient, par la force des choses, une grande criminelle.
Pouvais-je en savoir davantage ?
Elle se tut, puis, après un bref silence, voulut bien me confier qu’elle écrivait chaque jour quelques pages de cette œuvre et que ce travail l’obsédait jusqu’à parfois l’obliger à se relever la nuit pour mettre noir sur blanc les idées ou les incidences de l’intrigue.

Admirable conscience professionnelle ! Non, je ne plaisantais pas en parlant ainsi. Qu’elle se rassure !
Elle haussa les épaules, s’écarta et s’en alla devant un miroir vérifier ses boucles blondes. Sa démarche n’avait rien de celle d’une intellectuelle bas-bleu, courbée quotidiennement sur un bureau ; elle était pleine d’une vie intense et le moindre de ses gestes trahissait cette ardeur secrète qui attend du hasard d’être voluptueuse.

Elle revint vers moi, sa main dissimulant à demi le décolleté provocant de sa robe noire :
Vous pourriez peut-être me demander si le rôle qu’on m’a confié dans « Le Mystère Barton » me plait ?
Évidemment. Mais cette question était inutile, puisqu’elle avait accepté ce rôle. Je ne doutais pas, d’ailleurs, que sous la férule habile de Charles Spaak, elle n’apportât dans ce film la manifestation évidente de son talent.
Je n’aime pas les compliments.

 

Soit. Parlons d’autre chose. De cette pièce qu’elle vient de créer au Gramont.
C’est une comédie charmante, traduite de l’anglais. Pour une fois, je ne me déshabillerai pas sur une scène, comme je le faisais dans « La Nuit du Diable »…
– Dommage !
Que dites-vous?
– Rien. Je pensais seulement que les directeurs de théâtre avaient du goût et que je les enviais, profitant d’un tel spectacle que le « cochon de payant » ne voit que de son fauteuil éloigné…

La sonnerie stridente du téléphone stoppa la phrase idiote que j’allais probablement prononcer : c’était le directeur de production de « Mystère Barton » qui rappelait à Nathalie Nattier un rendez-vous.
Il va falloir que je vous quitte…
Hélas ! Et je n’avais aucune anecdote, aucun secret piquant dans toutes les notes que j’avais prises.
Je suis tellement sage dans ma vie privée que vous ne trouverez rien à raconter sur moi !
Elle avait, ce disant, un sourire ingénu, une calme tranquillité déconcertante…
Vous pourrez dire que j’adore…
– Que vous adorez ?…
André Gide, Camus, Oscar Wilde, Stéfan Zweig, Dostoievski, Andrew
– D’accord, mais j’aurais préféré un autre nom. Un nom courant. Comme ceux qu’on rencontre parfois à l’angle d’une rue, dans un coin de studio et qui vous font deviner tout de suite l’aventure sentimentale pleine de passion et d’imprévu…
Taisez-vous… Ma vie privée m’appartient.
– C’est bon, je me tais… Mais si jamais…
Vous ne saurez jamais rien.

Paul DIDIER-SERDET.

 

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Pour patienter YVES MONTAND apprend du Racine…

 

Yves Montand, vedette de music-hall, débuta à Marseille. A acquis la qualité dans son tour de chant grâce à l’influence d’Edith Piaf. Débuta à l’écran dans « Etoile sans lumière ». Tourna aussi « L’Idole ». Aucun projet de film depuis sa rupture de contrat avec la Warner. S’est tourné vers l’opérette : joue en ce moment « Le Chevalier Bayard », à l’Alhambra. Prépare néanmoins un voyage en Amérique (pour chanter).

Après « Les Portes de la Nuit », on a dit un peu partout : « Yves Montand a laissé passer la chance de sa vie. » Mais il ne s’en porte pas plus mal pour cela. Au contraire.

Alors qu’il semblait promis à une brillante carrière cinématographique dans l’esprit de Marcel Carné, il s’agissait ni plus ni moins de prendre la place de Jean Gabin. Yves Montand n’a plus mis les pieds dons un studio après « L’Idole », tourné sur la lancée des « Portes de la Nuit ». Evidemment, les « Portes de la Nuit » furent diversement accueillies par la critique, mais la popularité d’Yves Montand n’en fut pas trop atteinte. Il n’est qu’à contempler la foule des jeunes midinettes qui l’attendent chaque soir à la porte de sa loge pour s’en rendre compte. Alors, pourquoi cette retraite prématurée ? Il explique lui-même les événements… avec philosophie :

Je n’ai nullement l’intention d’abandonner le cinéma. Je crois même qu’il me reste une bonne douzaine de rôles à tourner. Seulement ces rôles, il faut les trouver. C’est ce qui est le plus difficile. Car avant de les avoir trouvés je ne me hasarderai plus à affronter les sunlights. Je ne veux pas commettre une erreur qui à déjà coûté cher à bien des artistes. Supposez que je tourne un autre film qui ne me convienne pas… Du coup, je pourrai dire adieu à l’écran ! Alors, J’attends ma vraie chance et quand je serai sur qu’elle sera vraiment là, je ne la laisserai pas passer, soyez tranquille.

Ayant ainsi affirmé son point de vue, Yves Montand ne s’endort pourtant pas dans l’attente des événements. Après ses premiers films, analysant ses qualités et ses défauts avec objectivité, il arrive à la conclusion que le métier de chanteur et celui d’acteur n’avaient que des rapports fort lointains. Ils n’étaient nullement incompatibles, mais si Yves possédait assez complètement le premier, il avait encore de sérieux progrès à faire avant de connaître le second.

 

Entre deux chansons de cow-boy, Yves Montand s’est donc mis à travailler la comédie. Il s’est plongé avec ardeur dans l’étude des classiques… tout comme un élève du Conservatoire. Aujourd’hui, il dit d’ailleurs du Racine avec une intensité qui surprendrait plus d’un de nos comédiens français. Mais c’est évidemment dans des poètes plus modernes et particulièrement dans l’oeuvre de Jacques Prévert, que la vedette du « Chevalier Bayard » se sent à son aise.

Il songe à préparer un jour un tour de poésie, ne serait-ce que pour « épater » les admirateurs de « Battling Joe » ou de « La Grande Cité ». Mais son véritable apprentissage de comédien, Yves Montand l’a fait toute cette année à la radio.

La radio, c’est un « truc » excellent, explique-t-il. Avec elle, pas de geste, pas de « ficelle » possible. On est tout seul avec cinq millions de paires d’oreilles qui guettent chaque faute. Il faut donner tout ce qu’on a dans le ventre et pousser « jusqu’à la mort ». Moi qui n’ai pas souvent le trac, je vous assure que la radio m’a souvent fait trembler. Quand je suis dans la cabine de son, je sue sang et eau. Mais un an de cet « entraînement » m’a rôdé. Je vous assure que maintenant, je crois que je commence à connaître mon métier.

Au milieu de ces activités nouvelles, que devenait « Yves Montand chanteur », celui qui a su, bon an mal an, trouver un million d’admirateurs et d’admiratrices. Sur le plan « chanson », les progrès ont été des plus satisfaisants, si l’on en juge par la montée en flèche de… ses cachets qui sont payés du simple au triple depuis « Les Portes de la Nuit » – sans que le film de Marcel Carné y soit, à vrai dire, pour grand-chose. Mais Yves Montand, en attendant de trouver un « vrai rôle » su dénicher ses « vraies » chansons.

Il y a d’abord eu la rencontre avec Francis Lemarque. Lemarque gratte sur sa guitare des mélodies qui lui passent par la tète. Il fait souvent des fausses notes… mais les idées qui lui passent par la tète sont bonnes et Yves qui possède un sens musical très sûr, s’y reconnaît très bien. A mesure que les notes sortent de la guitare, Yves, enfoui dans un fauteuil, toutes lumières tamisées, fredonne un sempiternel refrain. Deux heures de cet exercice et Yves connaît par cœur son nouveau succès.

S’il a eu de la chance avec Lemarque, il en a eu moins avec son dernier secrétaire. On connaît l’aventure. Un jour, Yves rentre chez lui et constate qu’il lui manque pas mal de souvenirs personnels. Dont, notamment, un certain cadeau fort cher d’une admiratrice passionnée. Coïncidence troublante : il venait justement de se séparer de son secrétaire. Brave garçon, Yves ne porta pas plainte, mais confia sa rancœur à quelques amis. Comme le secrétaire avait mauvais caractère, il porta plainte en diffamation. Et voilà pourquoi le héros du « Chevalier Bayard » pouvait être aperçu, il y a peu de temps, dans l’antichambre de la Correctionnelle.

 

Et la vie plus strictement privée d’Yves Montand ? On devine que les succès sont faciles à ce beau garçon très populaire. Mais Yves a pour principe de faire passer sa vie privée après sa vie professionnelle. Quand les répétitions sont terminées, les chansons apprises et qu’il n’a plus rien « sur la conscience », Yves avec une bande d’amis consent à s’amuser joyeusement. Mais jusqu’à présent, il a toujours éprouvé une terreur panique devant le mariage. Car la liberté est encore ce qu’Yves préfère. Cet amour de la liberté lui a d’ailleurs joué quelques mauvais tours.

Quand j’étais tout jeune, à Marseille, ex­plique-t-il, j’avais trouvé une place merveilleuse : comptable dans une agence suédoise de voyages. Vous pensez bien que les Marseillais ne vont jamais en Suède. Je n’avais donc rien à faire et je gagnais assez pour manger à ma faim (très grande) tous les jours. Mais une fois en regardant par la fenêtre, j’ai vu le soleil sur le Vieux-Port et j’ai senti le vent du large. Puis j’ai regardé autour de moi et j’ai vu mes quatre murs. Le soir même, je démissionnais et le lendemain matin, je travaillais comme docker… Mais sur le Vieux-Port, à décharger des bateaux qui portaient encore accrochés à eux le reflet des pays exotiques d’où ils arrivaient.

Qui dira, après cela, qu’Yves Montand n’est pas romantique ? Non seulement, il ne fait rien sans que son « coeur » ne soit pas d’accord, mais encore il ne craint pas de s’attaquer à des taches pleines d’embûches. Sa venue à l’opérette en constituait une, mais inspiré sans doute par la personnalité du héros qu’il incarne, Yves Montand a pris ses risques dans « Le Chevalier Bayard ».

Les lauriers faciles, c’est évidemment agréable, conclut-il, mais c’est en les cueillant qu’on s’endort, je préfère côtoyer le danger, du moment que j’apprends quelque chose.

Fidèle à ce principe, Yves Montand, après les représentations de son opérette à l’Alhambra, s’envolera vers l’Amérique. Et, à son retour, il retrouvera peut-être une deuxième chance dans sa vie… sur le plan cinématographique du moins.

Claude DUFRESNE.

 

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