Jean-Louis Barrault

1946 – Article paru dans Cine-Miroir

 

Jean-Louis Barrault a ressucité Deburau par Jany Casanova (Ciné-Miroir hors-série Les Enfants du Paradis)

JEAN-LOUIS BARRAULT, l’une des plus curieuses personnalités de notre écran, est aussi un original. Si vous lui demandez sa date de naissance, il répond par un rébus : – Je suis venu au monde le même jour que la sainte Vierge et Alfred Jarry, mais l’année de l’inondation…

Il se destinait à l’agronomie et fut ainsi un des pensionnaires les plus assidus du Collège Chaptal. Après avoir passé ses bachots latin,sciences et mathématiques élémentaires, il doit gagner sa vie. Epoque héroïque : il devient revendeur aux halles, comptable chez Lefranc, pion à Chaptal où il retourne sans joie. Déjà il est dévoré par le démon du théâtre, la science des attitudes, le goût de la mise en scène.

C’est l’époque glorieuse où Dullin règne en maître sur les jeunes cerveaux épris d’art. Il lui écrit. Charles Dullin le convoque et a vite fait de voir en lui une « bête de théâtre ». Nouvel épisode stoïque : Jean-Louis quitte le collège, définitivement cette fois, pour suivre les cours de son nouveau maître. Pour subsister, il fera tout à l’Atelier : régisseur, machiniste ; il lui arrivera même de balayer le plateau. Pour éviter les frais d’une chambre, il habite à l’Atelier, couchant dans une loge, mais toujours élève fidèle des cours.

Avec ses économies, il monte une pièce. C’est un four noir qui ne le décourage pas. Marc Allégret, toujours à la recherche de visages neufs, lui confie un rôle de second plan dans Razumov/Sous les yeux d’Occident. Ensuite viennent Hélène et les Beaux,Jours.

En 1937, déjà connu et apprécié, il monte Numance au théâtre Antoine. Tout Paris court le voir et le premier soir on fait 18.000 francs de recettes.

Le cinéma l’accapare et parallèlement le théâtre, puisqu’il devient metteur en scène et sociétaire à la Comédie Française après avoir épousé l’une de ses étoiles, Madeleine Renaud.

Dans « les Enfants du Paradis », Jean-Louis Barrault ressuscite la figure la plus attachante de notre théâtre de mime : celle de Charles Deburau, cet homme triste qui faisait rire les autres. La scène où Pierrot, immobile et muet, s’éveille à la vie avec un simple clignement dans ses yeux pailletés en contemplant Garance, compose un des meilleurs passages du film.

Jean-Louis Barrault est un adepte du mime « par goût, dit,il, de l’expression corporelle ».

Je m’intéresse au mime depuis toujours, depuis mes débuts à l’Atelier. Jacques Copeau remit cet art en question. Toute la compagnie des Quinze, au Vieux Colombier, partageait son enthousiasme. Suzanne Bing, puis Etienne Decroux, rencontrés là-bas, m’ont fait travailler avec eux. Decroux ne cesse de se parfaire. Il a trouvé en moi un émule, même quand ma vie plus dispersée, avec la Comédie Française et le cinéma, ne me permit pas comme lui de me consacrer uniquement à la pantomine.

On peut exprimer par le corps, même avec un masque, des sentiments d’une richesse infinie équivalant à celle du texte. Si l’on veut raffiner, on peut assurer que le verbe, la parole ne sont qu’une gymnastique buccale. Voyez donc les extraordinaires résultats obtenus par Charlot.

Jean-Louis Barrault plaide ardemment une cause chère :

En l’introduisant sur scène, explique t-il, on n’innove pas, on restaure une partie oubliée du théâtre. On la restaure sans nier naturellement la valeur du verbe. Les lois sont les mêmes, d’ailleurs, dans la diction et le mime. Il y a le déplacement du muscle au lieu du déplacement de la voix. A l’extrémité verbale de la diction existe le poème, comme à l’extrémité de l’expression corporelle existe la danse. Car dans la pantomine, ce n’est pas seulement le visage qui joue, mais le corps entier et jusqu’au moindre cartilage…

Jean-Louis Barrault est si pénétré de son sujet qu’à la Comédie Frangaise, où chacun possède son surnom, ses camarades l’appellent « la Tragédie de la mime ».

JANY CASANOVA

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