Jean-Louis Barrault

1936-1938 divers articles publiés dans Pour Vous

 

Vous trouverez sur cette page quelques articles parus avant guerre sur Jean-Louis Barrault dans la revue prestigieuse Pour Vous.

Le premier article (paru en octobre 1936) est particulièrement intéressant car il s’agit de l’un des tout premiers qui lui est consacré à propos de son début à l’écran.

n°413 (15 octobre 1936)n°507 (03 août 1938)n°520 (02 Novembre 1938)
n°539 (15 mars 1939)n°506 (27 Juillet 1938)

Bonus : Travelling n°3 (Juillet 1945)

1 – Pour Vous – n°413 daté du 15 Octobre 1936

 

« Visages Nouveaux… vedettes de demain » : Jean-Louis Barrault

Un visage curieux, dur, violent, tourmenté, qui n’a rien de celui des jeunes premiers habituels : des cheveux fous en boucles, un nez fort, mais mince, des yeux petits, mais d’extraordinaire luminosité, et surtout ces deux mâchoires fortement appuyées l’une contre l’autre, signe incontestable d’une puissante volonté…

Pour qui a suivi la carrière théâtrale de Jean-Louis Barrault depuis ses débuts, il y a cinq ans, chez Dullin, il était certain que cet acteur, qui se révélait peu à peu d’une exceptionnelle puissance, ne pourrait qu’être remarqué dès son premier rôle à l’écran et se ferait rapidement une place de premier plan. De fait, après l’étudiant épris d’aven­ture des Beaux Jours (de Marc Allégret), après le terroriste de Sous les veux d’Occident (de Marc Allégret également), après l’étonnante silhouette de Dromadaire dans Jenny (de Marcel Carné), son nom déjà et son visage – et il n’y a pas plus d’un an qu’il a débuté à l’écran – commencent à être connus et le seront plus encore lorsqu’on aura vu Hélène, où Jean Benoït-Lévy lui a confié l’un des deux grands rôles masculins aux côtés de Madeleine Re­naud et de Constant Remy.

p.s

L’article à propos des débutants de l’année 1936 évoque également Maurice Baquet, Viviane Romance, Jany Holt et Madeleine Robinson.

2 – Pour Vous n°507 daté du 03 août 1938

 

« Quelques expressions caractéristiques de Jean-Louis Barrault » par André Arnyvelde (Caricature par Pavil)

Ça… Ne faites pas attention…

Un sourire de gosse, comme pour s’excuser. Parce que « ça », c’est une ficelle tendue par deux clous aux saillies du mur, sur le balcon de bois, une ficelle à mettre sécher du linge évidemment, et qui ne peut servir à rien d’autre. Et quand il y au­rait du linge à sécher ? Cela n’étonnerait pas dans cet atelier où toutes choses sont, non rangées, mais placées comme ça s’est trouvé papiers, livres, flacons objets usuels, les meubles eux-mêmes…

Il est tellement clair que Barrault s’en fiche éperdument  ! Ce qui compte, certainement, c’est ce petit mor­ceau du luxueux hameau de Boulainvilliers, cette dense assemblée d’arbres sur laquelle on plonge du balcon de bois, et d’entre eux, le, gros marron­nier qui affleure le balcon. Ce marronnier, ça compte, et aussi un certain disque…

Vous aimes la musique ? Je vais vous jouer mon air préféré…

Dans un coin sur une petite table de chevet, un phono électrique.

C’est de Bach

Le frère de Jean-Louis laisse la lettre qu’il écrivait sur une grande table en beau désordre, se­coue sa cigarette au-dessus d’un coquillage qui fait cendrier. Jean-Louis déclenche le disque, et puis…

Et puis vient au milieu de l’atelier, et comme si tout de suite, les sons glissaient aux cryptes de l’âme et de là tiraient les muscles, les nerfs, ceux du corps, du visage, voilà une succession de Barrault : allègre, solennel, dansant, dessinant du bras l’on ne sait quel sacre d’empereur, cognant de ses deux mains à mi-chemin du sol quelque invisible bloc d’or ou de cristal, agitant les doigts comme pour montrer un pas de danse à des ecureuils, relevant brusquement le tête comme si un dieu lui touchait le front d’une main de lumière… Le disque s’arrête.

C’est la « Toccata suivie de fugue en do mineur »…

Un instant de silence, comme au moment, où le pèlerin raconte qu’il est arrivé devant l’autel… Je demande

Comment êtes-vous entré en rapport avec ce disque ? Vous connaissiez la « Toccata » et vous l’avez acheté ?

Pas du tout. Une firme de radio m’a donne un jour une cinquantaine de disques en guise de cachet. Je les ai tous essayés. Et puis, après que celui-là eût passé j’ai enfermé tous les autres, qui ne m’intéressaient plus…

J’ai mon idée.

Parce que, dis-je, c’est curieux. Il me semble qu’on ne peut pas se confesser avec plus d’éclat et de franchise que vous ne venez de faire, en enten­dent ce disque élu. Est-ce seulement par hasard que vous en avez mimé le déroulement de splen­deurs, de majestés, de grâces comme si les diverses phases de cette prodigieuse musique correspondaient à tous les sentiments qui composent et agi­tent votre chaleureuse jeunesse ? Gaïté enfantine, grandeur, domination, fougue, ferveur…

On toque à la porte de l’atelier. Le frère va ouvrir. Entre une toute jeune femme, très simple­ment vêtue. Elle a les bras et les mains chargés de provisions. Un grand pain, un sac de fruits, des légumes, des petits paquets.

Ma femme, dit le frère.

Qu’est-ce qui coule par terre ? dit Jean-Louis.  Oh ! l’huile des anchois !… dit la provendière redressant un des petits paquets.

Cet illustre garçon, si parfaitement à l’aise dans ce décor et dans cette ambiance parfaitement « bohème » me reconduit à travers le gentil ha­meau. A côté de sa porte est une vaste roulotte.

Ma remorque…

C’est l’autre logis de Jean-Louis Barrault. Celui aux vitres duquel peuvent se coller les visages changeants du monde, les souriants, les durs, les orageux, les ensoleillés.

Une belle roulotte, toute tendue de drap lie-de-vin avec de grandes armoires brunes. Un salon, une chambre. Un réservoir de deux cent litres d’eau. Et la T. S F.

Mais il y a plus de musique dans Jean-Louis que dans la petite boite à sons.

André Arnyvelde

3 – Pour Vous n°520 daté du 02 Novembre 1938

 

PORTRAIT PHYSIOGNOMONIQUE : JEAN-LOUIS BARRAULT

Dans ce visage tout est également excessif, de ce fait tout s’harmonise, se compense. « La régularité dans l’irrégularité. » L’intelligence riche, puis­sante, est capable d’idéalisme, de poésie, d’enthousiasme, mais aussi de bon sens, de réflexion, de discipline. Esprit abstrait et concret tour à tour. Observateur. Réfléchi, subtil et caustique.

– Sensibilité extrême, capable de vibrer, de s’émouvoir avec passion pour tout ce qui est beau, bon, bien, mais sachant être freinée par une lucidité surpre­nante, une sage raison.

Besoin impérieux d’indépendance, de franchise, de grand air.

Courage, stoïcisme même.

Dans le domaine matériel : désir de conquérir, de goûter largement aux joies de la vie. Mais, là encore, « la raison », « la volonté » apportent l’élément modé­rateur indispensable.

Besoin de dominer, de vaincre.

Bonté humaine, émouvante. Artiste dans toute l’étendue du terme. Créateur, avide de franchir les limites imposées par la vie à ses créatures.

Tout ce qu’il faut pour vivre en splendeur, souffrir intensément. .

L. MARINELLI.

4 – Pour Vous n°539 daté du 15 mars 1939

 

L’ART DU GESTE

Quand JEAN-LOUIS BARRAULT professe…

Si quelqu’un se défend de professer, c’est bien lui.

Moi, professeur ? dirait-il à celui qui le gratifierait de ce titre, vous rigolez ! En tout cas, ajouterait-il pour lui-même, je suis un professeur bien vivant et bien alerte, tout gonflé de jeu­nesse, mon vieux.

Mais voilà, qu’il le veuille ou non, il pro­fesse et dans une matière où il est orfèvre : la plastique.

Avez-vous vu Jean-Louis Bar­rault à l’Atelier, dans ce rôle de Sylvio où il déploie toutes les ressources plastiques d’un corps qui se sait beau et qui entend que cela se voie? Si oui, n’avez-vous pas pensé en le voyant évoluer sur la scène : celui-là, s’il n’était pas acteur, il serait dan­seur et grand danseur ?

Les élèves de l’école de l’Atelier le savent bien, eux à qui Barrault fait chaque samedi un cours de plastique et de rythme.

Cela a commencé voici deux mois par des exercices fort simples. Travail de dégrossissage allant de la marche sur place aux cinq positions fondamentales de la danse classique.

Vous vous servirez du moins de muscles possible. Le but de cet exercice est de vous apprendre à contrôler le poids de votre corps.

Le tapis de sol est le même que celui de la table sur laquelle, tout à l’heure, Charles Dullin s’appuiera en faisant son cours à l’Atelier, on fait des miracles en se débrouillant comme on peut. Barrault s’étend sur le ventre, une jambe ramenée sous le corps. Il paraît profondément en­dormi. Puis les bras se replient insensi­blement jusqu’à ce que les mains soient a la hauteur du visage. Le buste se redresse, la tête pend, privée de vie. Et le voilà de­bout, le regard fixe et perdu. Brusquement le corps se détend.

A ce moment-là, commente-t-il, vous vous gonflez et vous vous étirez. Mais il faut que vous sentiez en vous une envie irrésistible de vous étirer. Autrement, ce n’est pas la peine.

Et de nouveau il s’immobilise. Peu à peu le corps oscille, jambes tendues mais sou­ples, tête immobile.

Je suis un gars qui se met à appar­tenir aux astres.

De fait, il n’a plus l’air d’appartenir à la terre. Les orbes se font de plus en plus larges, il ne va pas tarder à se casser la figure. Ça y est ! Il tombe ! Il est tombé ! Non ! un coup de rein et il se retrouve cette fois encore sur ses pieds. C’est nous qui avons eu chaud.

Cela parait simple tant c’est aisé. Mais quand un élève essaie, rien ne va plus. Les muscles sont crispés, le corps est lourd.

« Laisse-toi bien aller, dit Barrault. Laisse tomber ton ventre, tu le rattraperas dans une noble contraction ! »

Il rit aux éclats. On est entre camarades.

Maintenant, je suis debout à peine réveillé. J’ai envie de quelque chose qui est là-bas, très loin. Mais dans ma demi-incon­science, je crois cet objet à portée de ma main et je tente de le saisir.

Il tend un bras puis l’autre. Les mains fines et blanches sont chargées de tout le désir qui est en lui. Le corps se penche, l’envie est trop forte. Le voilà qui plonge en avant, court derrière ses mains comme si elles l’entraînaient vers on ne sait quel merveilleux appât.

Tout le monde rit ; on travaille dans la bonne humeur. Pour les élèves, une ambi­tion : acquérir la légèreté de ce diable de garçon. Pour Jean-Louis, une satisfaction et qu’il exprime :

Il faut bien que je fasse profiter les camarades du peu que je sais…

PIERRE-GUY LATOUR.

5 – Pour Vous n°506 daté 27 Juillet 1938

 

6 – BONUS – Travelling n°3 daté de Juillet 1945

 

Dans ce numéro se trouve une critique du film Les Enfants du Paradis par Denis Marion avec notamment ce passage concernant Jean-Louis Barrault :

Abstraction faite de toutes ces qualités et de tous ces défauts, Les enfants du paradis contient un élément qui, à mes yeux tout au moins, constitue son plus grand mérite : la pantomime.

Tout ce qui touche à la rampe, au plateau, aux Coulisses, est éminemment photogénique – ce qui aurait suffi à justifier l’évo­cation des Funambules. Mais, il se fait en plus que la pantomime est l’ancêtre direct du cinéma muet. De sorte que cet épisode nous restitue, après quinze ans de parlant cent pour cent, l’atmosphère dépaysante et poétique des premiers films.

Jean-Louis Barrault, en Pierrot, devient un frère jumeau de Charlot (sans qu’il soit question d’imitation : Chaplin a fait ses débuts dans la pantomime anglaise : ce sont deux descendants d’un ancêtre commun).

Le masque qu’il s’est composé, aïgu comme un coup de couteau, la stylisation du costume et du dé­cor, la démarche hésitante entre la danse et la cabriole, le rituel savant de sa mimique créent un climat merveilleusement propice au rêve. Toutes ces scènes sont aussi parfaites qu’un dessin animé et participent de la même puissance d’absurdité et d’évidence. C’est une réussite prodigieuse qui, à elle seule, assure aux Enfants du paradis, une place parmi les classiques de l’écran. Et je connais peu d’images aussi bouleversantes que celle où Debureau faisant en scène le geste de scruter l’horizon, découvrir dans la coulisse Garance qui s’en laisse conter par Frédéric Lemaître : le masque enfariné, reste impassible, mais la main horizontale descend lentement le long du visage : c’est du très grand art.

Denis MARION

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