Jacques Prévert

2008 – Entretien exclusif avec NT Binh (« Jacques Prévert, Paris la belle »)


Interview de NT Binh, l’un des deux commissaires de l’exposition « Jacques Prévert, Paris la belle« 

(avec Eugénie Bachelot Prévert, la petite-fille de Jacques Prévert et unique ayant-droit) à Paris du 24 octobre 2008 au 28 février 2009

Cet entretien a été enregistré en Septembre 2008.

Journaliste, critique, enseignant de cinéma, réalisateur, N. T. Binh est membre du comité de rédaction de la revue Positif, sous le pseudonyme de Yann Tobin.

Auteur ou coauteur d’ouvrages sur Joseph L. Mankiewicz, Ernst Lubitsch, Ingmar Bergman, Claude Sautet, on lui doit le commissariat de l’exposition « Paris au cinéma » à l’Hôtel de Ville de Paris en 2006.

Les trois frères Pierre, Jacques et Jean Prévert, vers 1911

© D.R / Collection Catherine Prévert

– Vous êtes commissaire de l’exposition « Jacques Prévert, Paris la belle » qui est la première exposition importante consacrée à Jacques Prévert à Paris. Mais vous êtes surtout spécialiste de cinéma…

Le vrai fil conducteur de l’exposition, c’est la carrière de Prévert à travers toutes ses activités professionnelles dans l’ordre dans lesquelles elles apparaissent dans sa vie. Mais moi je ne suis pas un spécialiste de Prévert dans l’absolu, je suis effectivement d’abord critique de cinéma…

Avant que le cinéma devienne une activité pour Prévert c’est d’abord une passion qui remonte à l’enfance. Je suis sûr que les films qu’il a vus quand il était gamin l’ont marqué, les « Fantômas » mais aussi les films comiques, les Mack Sennett, les comiques de Pathé. Et cela n’a pas seulement eu une influence sur les films qu’il a écrits mais sur tout ce qu’il a fait par la suite.

Je parle d’un état d’esprit qui est resté, ce goût pour les genres populaires par exemple en opposition aux avant-gardes qui est un terme que Prévert a toujours détesté, y compris quand il était lui même considéré comme quelqu’un d’avant-garde avec le Groupe Octobre. Pour Prévert, il n’y a pas de genres nobles ou pas nobles, le mélodrame n’est peut-être pas censé être un genre noble mais il l’aime, il l’anoblit, le transcende peut-être. D’ailleurs Frédérick Lemaître, dans « Les Enfants du Paradis », ne refuse pas de jouer l’Auberge des Adrets sauf qu’il le joue d’une manière personnelle et singulière qui ne trahit pas l’œuvre mais qui la transforme, il se la réapproprie. Et ça c’est important…

Les Surréalistes adoraient le cinéma, pour eux ce n’était pas un art entaché par l’académisme des Arts traditionnels, des Arts reconnus. Je pense que c’est ça qui a rapproché Prévert et les Surréalistes, la revendication d’un art qui ne soit pas pour les élites. Sans compter qu’il y a dans le cinéma Surréaliste des choses qui ont marqué le cinéma de Prévert et pas seulement les films comiques et « Drôle de Drame » et « L’Affaire est dans le sac ». Certains thèmes comme l’amour fou, le rejet des institutions, la revendication sociale, tout ça sont des choses déjà présentes chez les Surréalistes et qui vont se transformer après, avec le côté militant du Groupe Octobre.

Mais il ne faut pas oublier que dès la fin des années 20 Prévert commence à écrire des scénarios. On dit toujours que son premier texte publié c’est celui contre André Breton (« Mort d’un monsieur ».NDLR) en 1930 mais il avait déjà écrit des scénarios qui n’ont pas été tournés. Il y avait des projets avec Marcel Duhamel, avec Pierre Prévert son frère. Pierre Prévert, c’est celui qui a toujours voulu faire carrière dans le cinéma alors que Jacques Prévert a toujours été l’amateur dans le cinéma. Et parmi ses tous premiers textes écrits il y a « Le Bateau Mouche Pirate » de 1928 qui n’a pas été tourné. D’ailleurs on parle toujours de Prévert comme un dialoguiste mais il était intéressé par le film muet, il a co-réalisé un film muet, « Paris Express », c’est même sa seule expérience de réalisation de sa carrière !

Après il y a le Groupe Octobre. Je pense que quand il écrit pour le Groupe Octobre, ça va beaucoup l’aider à écrire ses scénarios par la suite et à travailler en équipe.

Un auteur de films est obligé d’être un collaborateur avec d’autres co-auteurs, avec une équipe technique. Écrire pour des comédiens, pour une troupe c’est un état d’esprit qui fait partie du Groupe Octobre et qu’il va transférer dans ses films. Ainsi il va non seulement faire embaucher dans des petits rôles ses amis du Groupe Octobre, mais aussi développer ces petits rôles comme de vrais personnages, et donc pas uniquement des gens qui vont dire des mots d’auteur à la Prévert ce qui est une fausse image du Prévert scénariste. On a le sentiment qu’il écrit pour les acteurs, les petits rôles comme les grands.

Je crois qu’il avait vraiment avec Marcel Carné son mot à dire sur le casting et ce dès leur première collaboration, « Jenny ». Ce film ne tient pas la route si on supprime tous les rôles secondaires ou si on les remplace par des acteurs médiocres. Parce que si on ne garde que le trio amoureux et cette intrigue mélo (qui ne plaisait pas trop à Carné et à Prévert)… Ce qui fait tout l’intérêt de « Jenny », ce sont ces rôles secondaires qui sont des vrais rôles. Jean-Louis Barrault a deux scènes, Le Vigan aussi, mais chacun existe, ils ont une personnalité. À la limite c’est une répétition générale pour des rôles qu’ils vont développer plus tard. Barrault dans « Drôle de Drame », Le Vigan dans « Les Disparus de St-Agil » de Christian-Jaque.

Les membres du Groupe Octobre, en 1933 (Prévert est le quatrième, debout, en partant de la droite)

© D.R / Collection privée Jacques Prévert

Ensuite à partir du « Crime de Mr Lange » de Jean Renoir, le cinéma devient son activité professionnelle principale. D’ailleurs, tout le monde dit que ce film est une métaphore du Front Populaire alors que je pense plutôt à une métaphore du Groupe Octobre. Il n’y a pas de chefs comme dans les troupes théâtrales habituelles, tout le monde donne son avis, c’est une coopérative. Cette hypothèse est renforcée par le fait qu’il y a quasiment tous les membres du Groupe Octobre qui jouent dans ce film à l’exception des vedettes du film bien sûr.

Après, le cinéma devient donc son activité principale mais c’est une activité pour Prévert contraignante je crois. Et la contrainte ça a du bon et du mauvais.

Ça a du bon parce que ça lui apprend à structurer, à raconter merveilleusement bien des histoires, à avoir un sens de la progression dramatique, un sens de la caractérisation des personnages qui est exceptionnel. De bien peupler ses scénarios de films comme si chaque personnage était une connaissance à lui, un ami, y compris les méchants, les patrons… Les personnages odieux joués par Jules Berry ne sont jamais condamnés comme des espèces de pantins. Ce sont des gens qui sont humains. À la fin du scénario des « Amants de Vérone » d’André Cayatte, Prévert utilise une série d’adjectifs pour dire qu’ils sont morts parce qu’ils étaient en but à un monde… et il ne dit pas « un monde mauvais, méchant », il dit un monde « borné, angoissé malheureux », il emploie des termes qui condamnent tous ceux qui ont conduit à la mort cet amour, mais pas d’une manière sommaire, ce n’est pas comme un mal chrétien qu’il faudrait rejeter. C’est un monde qui agit comme ça parce qu’il a des raisons de le faire, peut-être des mauvaises raisons mais elles existent, ce n’est donc pas un mal absolu.

Ce qui est dommage c’est qu’après la guerre, son activité cinématographique a décliné, je pense qu’il a du souffrir dans le monde du Cinéma d’être considéré comme quelqu’un qui avait fait son temps…

Première édition de Paroles (1946)

© Editions Gallimard / Collection privée Jacques Prévert

– D’ailleurs il n’a vraiment été reconnu qu’à partir de 1946 et la sortie du recueil « Paroles »…

« Paroles » l’a complètement sauvé du monde du Cinéma car il commençait à en avoir marre de voir ses scénarios censurés ou qui n’étaient pas tournés ou dont le casting changeait au dernier moment. Le changement de casting des « Portes de la Nuit » a dû être affreux. Quand on écrit pour Marlene Dietrich et Jean Gabin et qu’on voit Nathalie Nattier qui était une inconnue et Yves Montand qui n’est pas spécialement mauvais mais ce n’est pas Gabin ! Je pense que pour Prévert ça a dû être comme une trahison de son œuvre. Mais c’est un moindre mal car le film est quand même assez réussi, et il a été tourné contrairement à d’autres ! Justement « La Fleur de l’Age », le film qui devait suivre, est le vrai drame. Plus grave que les « Portes de la Nuit » pour la rupture Prévert-Carné.

– Surtout que c’est un thème qu’il avait en lui depuis une dizaine d’années lorsqu’il avait écrit le scénario de « L’Île des Enfants Perdus » …

Le film ne s’est pas fait et à la place il a écrit « La Chasse à l’enfant ». Il a parsemé ses scénarios des années trente d’allusions au pénitencier de Belle-Île. C’est d’ailleurs le début de « L’enfer des Anges » de Christian-Jaque dont Prévert n’aurait pas signé le scénario car il travaillait sur un scénario proche pour Carné (cette même « Ile des Enfants Perdus »).

– Revenons à cette exposition, est-ce que vous pensez que la perception que nous avons de Prévert a changé au fil des ans ?

Oui et c’est ce que l’exposition va essayer de montrer. Prévert, tout le monde connaît son nom. Mais il n’est retenu quasiment que pour deux choses pour la majorité du public. Il est reconnu pour ses poèmes que l’on apprend à l’école et pour son visage dans les photos de Doisneau à cause des cartes postales que l’on trouve dans Paris. Et à part ça tout le reste est méconnu. Même si les gens connaissent « Les Enfants du Paradis », ils ne vont pas associer directement le film à Prévert ou « Le Quai des Brumes ». Sinon les gens de ma génération, quinquagénaires ou plus, se souviennent de « Paroles », et encore comme unique livre !

Donc nous avons voulu montrer la richesse de l’oeuvre et la créativité de Prévert, montrer une image différente aussi. Comme le fait de ne pas avoir une photo de Doisneau avec Prévert et sa clope sur l’affiche de l’exposition. Du coup on ne reconnaît pas Prévert ! D’ailleurs au début il y avait beaucoup de gens contre cette photo sur cette affiche.


– Vous l’avez fait exprès ?

On trouvait déjà que c’était la plus belle photo. On le trouvait beau et aussi inattendu. Pas seulement parce qu’il n’avait pas de cigarette…

Et si justement on ne reconnaît pas Prévert c’est peut-être pour cela qu’il faut la mettre en avant. En plus cette photo est très cinématographique, le cadrage, la disposition des corps, la lumière, il y a un côté « mis en scène » dans cette photographie de Wols.

– C’est ce que dit Jacqueline Laurent dans l’entretien qu’elle vous a consacré pour le catalogue de l’exposition. On a l’impression que la photo a été faite pour un film ?

Oui, ce n’est pas une photo posée comme un portrait de l’époque, celle prise par Dora Maar lorsqu’elle était photographe de plateau sur le tournage du « Crime de Mr Lange » par exemple. Je crois que c’est peut-être une photo qui n’était pas prévue mais qu’elle est d’une composition très originale et différente, c’est en ce sens que je dis « mise en scène ». Elle a été sûrement un peu improvisée, « tiens si on se mettait par terre », on se met en place très vite et on photographie le moment présent.

– Et dans le choix des oeuvres, comment s’est effectué la sélection ?

Nous avons voulu qu’aucun domaine abordé par Prévert ne soit oublié. Ceci dit, il est quasiment impossible d’être exhaustif. Il y a des choses qu’on n’a pas mises parce qu’il n’y avait plus de place. Les cahiers de Pataphysique, certains films dont on ne montre pas d’extraits. Mais on a voulu que tout soit représenté…

Et puis une chose importante qui relie Prévert un peu au cinéma c’est le côté graphique.

Quand on regarde son écriture, ses brouillons, on a l’impression qu’il composait. Je fais allusion aux fameuses planches préparatoires pour ses scénarios qui étaient pleines de dessins, comme une sorte de « story-board » où il fallait que tout le film soit sur une seule feuille. Ce qui prouve son génie de la structure aussi, quitte pour la parfaire à barrer telle chose, de mettre une petite flèche après un personnage en disant « va bientôt mourir » ou « n’a jamais existé ça nous simplifie la vie ». Il avait un vrai esprit de synthèse de cette manière.

Planche dessinée manuscrite de Jacques Prévert pour le scénario du film Les Visiteurs du Soir (1942)

© Fatras, Succession Jacques Prévert / Collection privée Jacques Prévert

Pour quelqu’un qui est censé improviser et faire des choses un peu n’importe comment, c’est quelqu’un qui travaillait beaucoup ! Il travaillait énormément ses scénarios, c’est évident, et pas uniquement sous la forme de dialogues.

Sur ces grandes planches c’est surtout la structure dramatique qui frappe.

Il y a beaucoup de dessins aussi. Prévert avait ce côté pictural, visuel qui rejoint un petit peu l’écriture pour le théâtre, c’est-à-dire qu’il y a la scène et tout ce que le spectateur voit est dans un carré. Donc le décor et les costumes doivent y être. Ce n’est pas uniquement une question de structure de récit, il y a aussi ce côté de dynamique visuel qui doit y être.

Je pense qu’il choisissait ses acteurs pour ça, pas seulement pour leurs dictions mais aussi pour leurs manières de bouger et d’interagir les uns avec les autres, je pense que c’est important. Et cela remonte au cinéma muet avant que le cinéma parle.

– La grande force du cinéma muet, c’est le corps et la manière de bouger dans l’espace…

Oui et je crois que pour Prévert c’est très important. C’est-à-dire que dans ses scénarios les personnages se définissent souvent par leur parole et aussi par leurs mouvements et leurs gestes. Les accessoires sont très importants, les détails vestimentaires sont très importants, par exemple quand Pierre Brasseur dans « Lumière d’Eté » prend le bouquet de fleurs qui lui évoque les tournesols de Van Gogh et les jette par le balcon, ça donne de la force à un long monologue qui aurait pu n’être qu’une sorte de joute théâtrale, de « tour de force » oral, alors que pas du tout, il faut joindre le geste à la parole. Et pour ça je pense que ces planches dessinées préparatoires sont très importantes.

– Donc vous en exposez quelques-unes ?

Il y a aura celle des « Enfants du Paradis », des « Visiteurs du Soir », celles de projets non aboutis comme « Sylvie et le fantôme » qui a plus tard été tourné par Autant-Lara. Ce film aurait dû être tourné pendant la guerre, Prévert avait entièrement écrit un scénario d’après la pièce d’Alfred Adam mais l’adaptation d’Autant-Lara n’a rien à voir avec celle de Prévert.

Il est intéressant de noter que Prévert a gardé proportionnellement plus de planches de projets non aboutis. Il devait forcément faire ça pour tout ses films mais cela a disparu à peu de choses près. Pour « Ciboulette », le premier scénario de long métrage signé Prévert, Autant-Lara décrit déjà cette manière de travailler en faisant des dessins sur une grande feuille.

« Les Garçons de la rue » collage de Jacques Prévert d’après une photographie de Robert Doisneau

© Fatras, Succession Jacques Prévert / Collection privée Jacques Prévert

– Est-ce que dans les choses que vous n’avez pas mises, il y a des oeuvres engagées qui ont posé problème ?

Non parce que quand on les relit, on est frappé d’un coté par l’acuité du propos politique ou social (même si parfois ça se déguise derrière des formules qui ont l’air à l’emporte-pièce) et d’un autre côté ça n’est jamais de la provocation gratuite ou vulgaire. André Heinrich le dit très bien, quand il parle du Groupe Octobre, et raconte qu’il y avait plein d’autres troupes de théâtre à l’époque qui souvent étaient aussi fortes sur le plan du contenu mais c’est la langue et l’écriture de Prévert qui fait que la condamnation n’est jamais faite de manière basse. C’est sous-tendu par une vraie argumentation qui n’est pas insultante. Prévert préfère manier l’ironie que l’insulte.

Ce qui fait qu’aujourd’hui, on est dans l’ère d’une absorption « fast-food » de tout, et quand on lit les textes de Prévert ça passe. Alors que ce qu’il dit peut-être très choquant en même temps. C’est la façon dont il le dit qui fait que le message va passer et être accepté, ce qui est quand même plus fort !

– Justement, quand on relit certains textes, certaines poésies, les thèmes sociaux abordés restent très pertinents…

Bien sûr. Mais il y a une chose qui est un peu démodée dans les cibles de Prévert, c’est l’anticléricalisme. Parce que l’église et la religion ont une place beaucoup moins grande dans la société aujourd’hui . Aussi certains jeunes découvrant Prévert peuvent se demander pourquoi il s’acharne ainsi contre l’église, même Jean-Paul Goude qui a trente ou quarante ans de moins que Prévert dit « mais moi j’ai jamais eu de problème avec la religion, on en parlait même pas quand j’étais gamin ». Donc ça c’est marqué par son époque. Mais si on fait attention, on s’aperçoit que quand Prévert dénonce certains excès du clergé, ce n’est pas la foi des gens qu’il dénonce, c’est la pratique !

Et pour lui c’est quasiment la même chose que l’armée ou le patronat sauf que dans les exactions, dans les excès de l’église, ce qu’il dénonce c’est avant tout l’hypocrisie. Au moins l’armée on est là pour tuer des gens s’il y a une guerre ! Donc il dénonce les guerres et l’armée. Tandis que ce qu’il ne supporte pas, c’est que certains se donnent une image pieuse alors que derrière le masque on peut faire des choses pour lui répréhensibles.

Cette condamnation de l’hypocrisie, si on la transpose, peut très bien être d’actualité. Voilà pourquoi le propos politique de Prévert est plus complexe qu’il n’y parait et quand ses cibles peuvent paraître datées, le fond lui est toujours actuel.

Marcel Carné et Jacques Prévert photographiés par Denise Bellon à Paris en 1945

© les films de l’équinoxe / fonds photographique Denise Bellon

– Est-ce que vous avez une attente particulière par rapport à l’impact que cette exposition peut avoir sur la perception qu’ont les gens de Prévert ?

Oui, de faire connaître un peu mieux quelqu’un que tout le monde croit connaître mais que tout le monde ne connaît que par un petit bout de lorgnette. D’avoir une vision globale de Prévert devrait faire changer les choses. Je l’ai constaté en m’immergeant dans Prévert que je connaissais peu et que je découvrais car c’était surtout par le cinéma que je le connaissais. Je me suis aperçu qu’auprès de tous les gens qui ont travaillé sur cette exposition et qui ont eux aussi découvert Prévert, leurs commentaires n’ont pas été seulement admiratifs mais également du genre « je ne me serais jamais douté ».

Il est étonnant et surprenant de voir la richesse de son œuvre et qu’il n’y a pas un domaine qui éclipse les autres finalement. Moi, j’ai beau dire que le cinéma est central chez Prévert, ça n’éclipse pas les collages, les chansons, ni les poèmes ni le Groupe Octobre.

Je crois que c’est ça le plus important car toutes les expositions qui ont été faites jusqu’à présent avaient des thématiques très resserrées sur un domaine d’activité en particulier. Et tout réunir d’une façon globale signifie qu’il y a sept expositions en une. C’est une exposition très dense et très riche mais qui va permettre de saisir, même si on ne fait que la survoler, un peu de l’esprit Prévert.

C’est vrai qu’on va avec cette exposition mettre à mal l’image du « Prévert artiste pour aficionados ». C’est-à-dire qu’il y a des clubs d’amateurs qui savent tout sur les collages de Prévert ! Il y a les fous du Surréalisme, d’autres de l’époque St-Germain-des-Prés et pour le grand public c’est les poèmes appris à l’école, les photos de Doisneau. Tout ça va complètement éclater dans le sens d’une cohérence incroyable.

Joseph Kosma, Jacques Prévert, Marcel Carné, Jean Gabin, Alexandre Trauner en 1938

© D.R / Collection privée Jacques Prévert

C’est pour ça qu’on n’a pas voulu avoir un autre lien que chronologique. Car la chronologie permet de comprendre la cohérence qui est dictée avant tout par ses rencontres avec les gens. Parce que c’est ça aussi Prévert, c’est les amitiés et les rencontres.

D’ailleurs dans ses scénarios, c’est aussi une autre de mes théories, l’amitié est encore plus important que l’amour. L’amour fou c’est merveilleux, c’est le rêve, le fantasme, c’est voué d’ailleurs à être rejeté par le monde. Mais par contre l’amitié c’est plus fort que tout. Ça permet de transformer le monde.

C’est le vieux révolutionnaire Prévert qui demeure. L’amitié, la solidarité, pourquoi ? Parce qu’en face de nous on a des groupes menaçants. C’est-à-dire que ce que Prévert déteste par dessus tout, ce n’est pas tellement les patrons et les curés. C’est la foule des gens qui sont derrière eux. C’est la meute. Ce qu’il n’aime pas avec le fascisme ou avec l’Inquisition mettons, c’est que derrière il y a une meute assoiffée de sang. Donc évidemment il va condamner le processus qui va mener à cela et par conséquent le leader de cette meute. Face à cette meute il faut qu’on s’organise. « Si vous voulez la paix préparez la guerre civile » c’était l’un des slogans du Groupe Octobre…

Deuxième Partie

NT BINH :

Les scénarios et les livres pour enfants sont les deux seules formes d’écriture où Prévert a adopté des récits de fictions. C’est-à-dire que Prévert n’a jamais fait de romans, de pièces de théâtre au sens traditionnel du terme. Ses seuls romans ou pièces sont ses films et ses livres pour enfants qui adoptent souvent la structure du conte de fées.

C’est ma grande théorie que je n’ai pas inventée d’ailleurs, c’est Barthélémy Amengual qui a dit que tous les films de Prévert sont des contes de fées. Et c’est vrai que dans la façon dont ils sont construits, ce sont parfois des contes de fées à rebours ou le happy end s’inverse. Ce coté « conte de fées » en tant qu’ouverture à l’imaginaire est essentiel dans la construction et dans les rapports entre ses personnages et le monde.

Je crois que les films de son enfance sont la deuxième source d’inspiration de son écriture cinématographique. Que ce soit des contes assumés comme les dessins animés avec Grimault ou « Les Visiteurs du Soir », ou que ce soit une trame sous-jacente qui reproduit des archétypes (pas des stéréotypes de leur époque) mais des archétypes qui sont mythiques.

Prévert c’est un scénariste du mythe, beaucoup plus que du destin.

Et ce qui est intéressant chez lui c’est qu’à la fois il construit le mythe de façon complexe et il démythifie en même temps. Et pour démythifier il faut avoir construit ! Je crois que c’est une manière de fonctionner dans l’écriture qu’il a adopté, quitte à pointer du doigt le fait que le spectateur assiste à une représentation.

Il y a beaucoup ce qu’on appelle maintenant de « mise en abîme » chez Prévert, le rideau des « Enfants du Paradis » est l’exemple le plus flagrant. Mais l’utilisation de la chanson dans quasiment tous ses films, comme commentaire à l’action à la manière d’un choeur antique, est une manière un peu théâtrale et distanciatrice de mettre le doigt sur le récit et sa représentation.

Alors évidemment il ne le faisait pas de manière didactique, ce ne sont pas des pièces de Brecht !  Et comme il était très attaché à la vie de ses personnages, il ne voulait pas trop « dessécher » cette vie en mettant trop en avant le coté théorique. Je crois que ça venait aussi du Groupe Octobre dont le discours était toujours très important mais qu’il a toujours fait attention à bien l’incarner…

Roger Forster/ Fondation Jérôme Seydoux-Pathé

© ADAGP 2008, Pathé Production

Le cinéma était pour lui aussi une activité très lucrative. Avant la sortie de « Paroles » c’était la seule chose qui lui rapportait de l’argent. Je crois pour ma part qu’il aimait beaucoup l’écriture cinématographique comme exercice et c’est pour ça qu’il était très bon comme « script doctor ». Il y a des comédies pour lesquelles il était payé au gag ! Pour d’autres, il réécrivait quelques lignes. Je pense qu’il aimait beaucoup faire ça. À la limite qu’il signe ou non le scénario il s’en fichait !

Car il y a aussi ce coté un peu ambiguë de Prévert par rapport à la reconnaissance.

À la fois qu’il recherchait et en même temps dont il se fichait. Je pense que c’était quelqu’un qui adorait être aimé et être apprécié. L’idée que ses livres se vendent à des milliers d’exemplaires lui faisait un grand plaisir. D’un autre côté il était parfois un peu vexé de ne pas être pris au sérieux comme écrivain. Il y avait des critiques littéraires qui disaient qu’il était un chansonnier. Certains trouvaient que sa poésie était facile etc… Il devait souffrir de ce genre de critique même si cela ne l’a pas empêché d’écrire mais on en souffre toujours… Prévert c’est quelqu’un qui n’a pas fait beaucoup d’études. Il avait ce coté « on m’admet dans la cour des grands un peu à contre coeur ».

– C’est aussi pour ça qu’il arrête le cinéma car il en marre de travailler pour se faire éreinter en trois lignes par un critique…

Je pense qu’il y a de ça. Les critiques, il ne les aime pas.

Et puis quand on est scénariste, c’est le métier le plus ingrat du monde. Scénariste ? de tous les métiers d’écriture, c’est le moins reconnu. Il n’est jamais cité. Et encore quand on s’appelle Prévert, on est en très gros au générique. Mais on va voir le dernier Gabin, on ne va pas voir le dernier Prévert ! C’est un peu frustrant pour un scénariste. Donc après la guerre, il ne voulait plus le faire.

Le cinéma c’est une affaire de générations, et il y a une chose que Prévert a toujours refusé, c’est d’être considéré comme un vieux. C’est ce qui l’a maintenu dans une phase d’écriture et de créativité constante quasiment jusqu’à sa mort. Il ne fréquentait pas les « vieux ». Il a contribué à faire découvrir de jeunes artistes comme Gérard Fromager, il a pris Jean-Paul Goude sous son aile. André Pozner, avec qui il a écrit « Hebdromadaires », c’était un jeune homme aussi. Les photographes comme Villers avec qui il travaillait, c’était des jeunes. Ils vont tous vous dire qu’ils voyaient Prévert une ou deux fois par semaine et souvent qu’il rechignait à voir ses vieux potes du Groupe Octobre ou des années trente. Il ne les voyait pas tellement finalement à quelques exceptions près comme les Trauner, les Grimault. Il y avait toujours des bandes de jeunes chez lui. Ce n’est pas une pose, c’est quelque chose qui répond à une besoin profond. Ce qui explique pourquoi il est resté pertinent jusqu’à la fin, dans ses écrits sur mai 68, le Vietnam, Angela Davis… Et tout ça, ça veut dire qu’il a été rejeté par une génération de cinéastes…

– Parce qu’en même temps qu’il voulait être proche des jeunes, il a été rejeté par une partie de ces jeunes dans les années Soixante.

Il a été adopté par toute la jeunesse d’après-guerre de Saint-Germain-des-Près qui avait « Paroles » sous le bras et le considérait comme son idole. Aussi il s’est demandé pourquoi insister auprès des gens de cinéma qui disent que Prévert a fait son temps, que « Le Quai des Brumes » c’était avant-guerre ? Il aurait pu continuer à écrire pour le cinéma pour des raisons alimentaires, il n’en avait plus besoin car ses livres sortaient. Alors il a dit « allez vous faire voir ! ». Mais il était très heureux d’avoir travaillé avec Brigitte Bardot (il participa à l’adaptation du film de Michel Boisrond : Les Amours célèbres en 1961, NDLR). Ce n’est pas pour le côté « people » mais parce qu’elle représentait la jeunesse du cinéma de la fin des années 50, même si cette expérience avait été très courte avec elle. C’est quasiment le dernier film qu’il a écrit.

En plus on est en 1960 et la Nouvelle Vague a complètement rejeté ce cinéma là, tout en faisant mine de dire que « Prévert, c’était vachement bien mais c’était les années trente, c’était le cinéma de papa ». Il y a eu des écrits quand même assez délétères de Truffaut ou Godard et cela continue aujourd’hui. Aujourd’hui vous allez dans des institutions de patrimoines cinématographiques et on sous-entend que Carné/Prévert c’est du « poussiéreux »…

Collection privée Jacques Prévert

– Que l’on dise cela en 1960 ça pouvait se comprendre mais maintenant en 2008 avec le recul, c’est assez étonnant ?

Le problème c’est qu’il y a eu une sorte de « terrorisme théorique et critique » qui fait que les schémas critiques se reproduisent sans que l’on retourne jamais aux oeuvres. C’est-à-dire que les gens qui reproduisent ce schéma là n’ont pas revu les films ! Ils ont relu uniquement les livres sur les films. Et ça c’est grave. C’est comme le mythe selon lequel le cinéma anglais n’existe pas pour toute une frange de la critique aujourd’hui…

Les gens n’ont aucune mémoire des films et ne se donnent pas la peine de les revisiter.

Les a priori énoncés comme des dogmes leur suffisent. Ils ont juste besoin de grilles de lecture, ils n’ont pas besoin d’aller voir les films et d’analyser ce qu’il y a dedans. Un travelling qui a été décrit par un critique de façon erronée devient la base d’une théorie pour cinq générations de critiques !

Mais je pense que c’est vrai dans tous les arts…

En sous-jacent il y a ce qui a été le plus important dans la critique française des années Cinquante, c’est ce qu’on a appelé « la politique des auteurs ».

Ce qui est extraordinaire c’est que ça a permis de réévaluer des tas de cinéastes oubliés ou inconnus, surtout américains d’ailleurs, mais cette politique des auteurs était appliquée à une sorte de système visant à faire place nette pour pouvoir prendre la place dans le cinéma français !

Truffaut s’en est expliqué après, il lui fallait des têtes de turc.

Cette « politique des auteurs », que signifiait-elle ?  Il y avait un côté jusqu’au-boutiste qui veut dire qu’un metteur en scène est soit un auteur soit il ne l’est pas. Il n’y a pas de demi-mesure. Il y a ceux qu’on retient et ceux qui sont rejetés en entier ! ça c’est la première chose qui est grave. Il y avait une sorte d’étiquette qui était collée au départ et qui ne pouvait plus être changée par la suite. Puis il y a un autre dogme que je trouve affreux qui est que le moins bon film d’un auteur est mieux que le meilleur film de quelqu’un qui n’a pas l’étiquette.

Que le moins bon Renoir est meilleur que le meilleur Carné !

Et ça inconsciemment c’est resté chez ceux qui font « l’opinion intellectuelle »…

Je pourrais vous faire une liste de cinéastes du monde entier qui sont ostracisés à cause de ça.

C’est parce que les gens qui programment et qui dirigent ces institutions sont marqués par ce « terrorisme critique ». Ce qui est terrible c’est que l’on dit dans cette optique là que le seul bon film de Prévert c’est « Le Crime de Mr Lange », pourquoi ? Parce que c’est Renoir et qu’il a pu recadrer Prévert sous le prétexte qu’ils ne se sont pas bien entendus. Donc tout le bénéfice ne revient qu’à Renoir. C’est ça qui est dangereux… « Le déjeuner sur l’herbe » c’est quand même pas « Une Partie de Campagne » !!

© Fatras, Succession Jacques Prévert / Collection privée Jacques Prévert

– Pour terminer, je souhaiterais que vous me parliez du Prévert, poète. Comme je l’ai déjà dit lors d’interviews précédentes, je pense que sa grande force avec le recul, c’est ce qu’il a fait avec la langue française en utilisant des mots simples. Donc le message passe très facilement auprès du public. Il est compréhensible par tous.

Il joue avec les mots mais ce ne sont pas des mots d’auteur justement. Il y a toujours du sens. « Dans toute église il y a toujours quelque chose qui cloche » ça dit ce que ça veut dire ! Il ne dit pas « l’église je la brûle », ça lui vient ainsi car il est comme une sorte de magicien des mots. Et pour lui c’est important car on se définit beaucoup, pas seulement par ce que l’on dit, mais aussi par la manière dont on le dit. C’est pour ça qu’il a écrit de bonnes chansons d’ailleurs.

Il y a une scansion du dialogue Prévert, c’est dans le livre de Michel Chion (Le complexe de Cyrano : La langue française dans les films français, Ed.Cahiers du cinéma. NDLR) qui liste les procédés à l’œuvre dans les scénarios de Prévert et c’est très intéressant car ce sont des procédés de chansons.

Dans quelle forme littéraire accepte-t-on les répétitions de mots ? C’est dans les chansons !

Dans toutes les autres formes, la répétition est considéré comme une erreur, une faute de français. Et ça il en joue. À partir du moment où on se met à écouter les films de Prévert et à répertorier les répétitions de mots dans une même phrase ou d’une phrase à l’autre, c’est hallucinant !

Mais ces répétitions sont intégrées à la langue de Prévert. Ainsi de faire répéter à un deuxième personnage ce qu’a dit le premier, c’est une manière aussi pour certains de défendre leur « bout de territoire » par la parole. C’est une façon aussi de retarder la réponse quand on est très embarrassé, et ça c’est quelque chose qu’on retrouve dans les dialogues de Jean-Pierre Bacri et Agnès Jaoui aujourd’hui. Ce côté de faire répéter la toute fin de la phrase d’avant. C’est un procédé qui fait très parlé mais c’est très écrit.

Autre caractéristique de ses dialogues, le fait de systématiquement scander une phrase avec le nom ou le prénom de l’interlocuteur. C’est une manière de respecter l’autre personnage et c’est une manière aussi pour Prévert de dire que ce ne sont pas des mots d’auteur. Ce sont des mots de personnages à personnages. Fréquemment les personnages des films de Prévert vont dire une phrase qui pourrait être très brillante, comme un mot d’auteur, et ils s’en étonnent eux-mêmes. Du coup ils la répètent.

Il y a une sorte de dénonciation du langage. Ce n’est pas du tout comme Henri Jeanson, qui utilise aussi la répétition, mais d’une manière très différente. Jeanson c’est aussi des mots qu’on peut mettre dans la bouche de n’importe quel personnage et de façon interchangeable ce qui n’est pas vrai pour Prévert, jamais…

J’ai été très embarrassé car on a fait un montage vidéo pour l’exposition avec les extraits de dialogues de Prévert. Je me suis aperçu qu’on ne pouvait pas faire un montage de répliques. C’était impossible parce que du coup les répliques perdaient tout leur sel, elles n’étaient plus drôles, on ne comprenait plus ce qu’elles voulaient dire. Il fallait donc prendre au minimum trente secondes ou une minute de telle scène pour comprendre. Je me disais que si on ne mettait que la fin d’une réplique, que tout le monde connaît comme « bizarre, bizarre », les gens vont trouver ça très drôle et en fait pas du tout ! On a donc rallongée de trente à quarante-cinq secondes l’extrait de la scène pour avoir tout l’échange. Car s’il n’y a pas l’échange avant ce « bizarre, bizarre » on perd les trois-quarts de l’efficacité de la scène.

– Cette scène est aussi très forte grâce au silence entre certaines phrases…

Voilà, c’est ce que j’allais dire. Là, les deux personnages sont chacun très embarrassés. Donc ils n’arrêtent pas de répéter ce que l’autre vient de dire. Les dialogues sont étirés et dans le mouvement de la scène, la jeune bonne qui vient servir ce fameux canard à l’orange contribue énormément au rythme de la scène. La scène est donc très rythmée et ça c’est le génie de Carné. C’est l’un des meilleur films écrits par Prévert.

C’est Carné qui avait le plus ce sens du découpage, à la fois temporel et spatial c’est-à-dire à la fois du cadre et du rythme de la scène. C’est très important. Carné le réussit mieux même que les plus grands, Gremillon, Christian-Jaque, mieux que Renoir même. J’adore « Le Crime de Mr Lange », mais c’est un film qui est moins bien découpé que les films de Carné. Ceci dit, c’est l’une de ses qualités d’être assez débridé, déconstruit. C’est pour ça que c’est un film qui fait plus partie de la période Groupe Octobre que celle du « Réalisme Poétique ».

Le Petit Soldat (Grimault & Prévert – 1947)

envoyé par montreuilparadise

On parle toujours du Prévert dialoguiste mais je trouve que l’un de ses meilleurs films c’est un film muet ! Je ne parle pas de « Paris Express » je parle du « Petit Soldat » de Paul Grimault. Il n’y a pas de dialogues. C’est une histoire entièrement racontée par des images. Alors bien sûr c’est Grimault qui la réalise. Mais ça veut aussi dire que Prévert sait raconter sans dialogues quand il a le bon partenaire. Et Grimault c’est un génie !

« Le Roi et L’Oiseau » c’est le summum qui n’a pas d’équivalent dans le cinéma français.

En plus, c’est un film qui a failli ne jamais voir le jour ! Prévert ne l’a malheureusement jamais vu fini.

C’est terrible. Il est mort en 1977, et le film n’est sorti qu’en 1980.



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