Haydée Politoff

1967-1970 – articles parus dans la revue Cinémonde


Articles sur Haydée Politoff paru dans la revue Cinémonde

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N°1671 daté du 13 decembre 66N°1770 daté du 24 décembre 68N°1818 daté du 13 janvier 70


Cinémonde N°1671 daté du 13 décembre 66

Reportage de GILBERT GUEZ

Des inconnus, ce sont des gens qui ne sont pas encore connus de tous. En dehors de Mijanou Bardot, qui fait là sa rentrée au cinéma, et du critique d’art-romancier Alain Jouffroy – qui y débute, les cinéphiles ignorent pratiquement tout de Patrick Bauchau, Haydée Politoff et Daniel Pommereulle, les trois héros du nouveau film d’Eric Rohmer : La collectionneuse.

Les amateurs d’art moderne savent peut-être que Daniel Pommereulle est ce révolutionnaire blond, long chevelu et barbu (mais barbu il ne l’est plus, dans le film) qui se déclare « objecteur » ou « destructeur artistique », plutôt que peintre et, pour marquer sa présence dans certains salons, se contente d’y poser un pommier, ou d’y étendre quatre draps blancs…


« Comment, direz-vous, Eric Rohmer, le grave réalisateur du Signe du lion, en pareille compagnie ? ».
Eh oui ! Il faut bien admettre que l’on ne sait pas grand-chose, non plus, d’Eric Rohmer. S’il a fait partie de l’équipe célèbre des Cahiers du cinéma qui a fait éclater la bombe « Nouvelle Vague », on peut constater aujourd’hui qu’il y a autant de différence entre Pierre Kast et Claude Chabrol qu’entre Jacques Doniol-Volcroze et Jean-Luc Godard, qu’entre François Truffaut et Jacques Rivette. Et Eric Rohmer se trouve peut-être plus sûrement dans sa série Six contes moraux, dont La collectionneuse portera le numéro quatre.

Il ne faut pas avoir peur des mots : on peut s’intéresser à la morale… quand elle est résolument d’avant-garde. C’est ainsi que, pour la première fois au cinéma, le jeune premier a les cheveux longs, et les idées plus longues encore, et onduleuses à souhait, comme il convient à un dandy du XX° siècle. Car le ramage vaut le plumage. Ces deux garçons et cette fille, en liberté dons une vieille maison près de Saint-Tropez, agissent, parlent et sentent comme « ils » (pas nous, bien sûr…) agissent, parlent et sentent, aujourd’hui, ces jeunes garçons et filles. Il n’y a là aucune provocation, aucun pittoresque gratuit. Simplement une « évidence » dont le cinéma ne s’était pas encore avisé, ou si mal que La collectionneuse va démoder une cinquantaine de films d’un seul coup.


Le sujet ? Adrien (Patrick Bauchau) aime Carole (Mijanou Bardot), mais ne veut pas avoir l’air de lui obéir en la suivant à Londres, où elle doit poser pour des photos. Et il se rend dans le Midi, seul. Pas longtemps. Dans cette maison prêtée par un ami absent se trouvent Daniel (Pommereulle) et Haydée (Politoff). Les deux garçons semblent décidés à ne rien faire, ne rien vouloir, ne rien avoir. Et Haydée ne les provoque pas davantage; elle est suffisamment occupée avec ses allers et retours à Saint-Tropez, accompagnée chaque fois d’un garçon différent. Pour tout dire, Haydée est une « collectionneuse ».

L’un pense qu’elle collectionne mal, l’autre d’une façon trop suivie. Elle ? Elle répond : « C’est faux : je cherche. Je cherche pour essayer de trouver quelque chose. Je peux me tromper ». Le moyen de lui en vouloir ?… Dans cette grande maison au bord de la mer, ils vont jouer à des jeux cruels, imprévisibles, passionnants. Mais je ne vais pas vous en révéler l’issue. Même E. Rohmer ne veut pas la connaître.


Ce qui m’intéresse, dans le cinéma, c’est qu’on s’instruit en le pratiquant. Si je connais ce que je vais montrer, je m’ennuie...
Ce n’est pas là une théorie. Rohmer affirme sans complexes qu’il a eu l’idée du film en faisant la connaissance d’Haydée Politoff chez le scénariste Paul Gégauff (Les cousins), qu’il a ensuite pensé à Bauchau et Pommereulle, et que tous ensemble ils ont parlé devant un magnétophone, chacun dessinant au fur et à mesure son personnage. De la même manière, il soumet aux interprètes, la veille du tournage, une première monture des dialogues et des indications de scènes, mais ce sont eux qui corrigent, adaptent à leur tempérament, leur langage, leur humeur. En somme, il s’agit presque d’un « happening » filmé.

Ce que j’en ai vu, cependant, prouve le contrôle de Rohmer, qui déclare : « La mise en scène, c’est l’art de montrer ce qu’il faut, non ? Je ne me suis pas posé trop de questions. J’ai essayé de me libérer des petits détails sans importance. Il faut toujours tourner vite, en extérieurs, à cause du soleil qui tourne, et aussi parce qu’il fait froid, finalement, dans ces pays chauds… Il y a sûrement des dessous dans ce film que je ne connais pas. Mais je ne fais plus de critique. Aujourd’hui, j’attends ce que les autres diront de moi. Trop de metteurs en scène font leur propre critique, que les critiques se contentent de répéter. Il faut obliger les critiques à avoir des idées. Donc, je ne dis rien… »


Des idées, vous en aurez tous en découvrant Haydée Politoff, véritable héroïne de Colette (tellement plus dynamiques et dangereuses que celles de Sagan), vedette à vingt et un ans qui agace les dents comme certains fruits, dès son premier film, après avoir préparé les Arts Déco., fait du journalisme et vendu des appartements en Espagne. Et vous en aurez devant Patrick Bauchau, tendrement cynique, secret, et bavard, inquiet et tranquille, nouveau beau ténébreux de mère russe et de père belge qui passa par Oxford, New York et Ibiza pour rencontrer à Paris Mijanou Bardot et l’épouser.


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Cinémonde N°1770 daté du 24 décembre 68

BORA OU LA VAINE RECHERCHE D’UN PARADIS PERDU

LA Polynésie et ses îles enchanteresses, Tahiti et ses belles vahinées. Mais l’époque des originaux
venus mener sous une paillotte l’existence simple des indigènes est depuis longtemps révolue. Avec le progrès et le développement touristique des îles ont disparu à tout jamais un mode de vie et une mentalité dont le mérite principal consistait à ignorer la civilisation occidentale, ses tares et ses conséquences.
Certes il existe encore une liberté des moeurs et une joie de vivre qui rappellent le paradis perdu mais il ne s’agit plus que d’une apparence, une sorte de spectacle permanent que les Polynésiens se donnent à eux-mêmes en présence des étrangers parce qu’ils savent qu’il exprime leur unique raison d’être, leur raison sociale en quelque sorte.


« ROMANCE » A TROIS SOUS LA PETITE HUTTE

C’est dans ce cadre qui bénéficie toujours d’un incomparable paysage que le réalisateur italien Ugo Liberatore a situé l’action de « Bora-Bora ». Située près de Tahiti, Bora-Bora n’a pas encore été submergée par la vague de la trépidante vie moderne et conserve encore son aspect d’autrefois. Une jeune Européenne Marita (Haydée Politoff) qui y effectuait sans son mari un voyage touristique a tellement été séduite par ce contraste qu’elle a décidé de ne plus rentrer chez elle. Fou de rage et d’inquiétude Roberto, le mari (Corrado Pani), part à sa recherche, en maudissant la Polynésie et ses mirages.


Après avoir erré longtemps dans les rues de Papeete et d’une plage à l’autre il finit par retrouver Marita et apprend qu’elle vit seule Européenne au milieu des indigènes de Bora-Bora. L’un d’entre eux est devenu son amant et dans les bras de cet être jeune, beau, fruste et sans complications Marita éprouve une profonde joie des sens. Elle se sent entièrement libérée des contraintes et de l’hypocrisie de la vie en société. C’est ce qu’elle dit à Roberto lorsqu’il lui demande de repartir avec lui.

Mais il ne s’avoue pas battu et décide de lutter pour reprendre sa femme. Il la suit donc et accepte de cohabiter avec l’amant tahitien. Pour se venger de l’humiliation permanente qu’elle lui inflige en partageant la couche de l’indigène, il choisit pour maîtresse une jeune Polynésienne qu’il abandonne bientôt pour une autre. A son tour il subit l’envoûtement des îles et se met à aimer ce peuple qu’il méprisait peu de temps auparavant. Mais cette conversion ne résout en rien ses problèmes personnels.


Il commence d’ailleurs à éprouver une sensation de trouble complicité envers Marita et son amant depuis le soir où il les a surpris enlacés sur la plage. Sans qu’il veuille se l’avouer le spectacle de sa femme dans les bras d’un autre, à plus forte raison si c’est un être réputé inférieur, lui a plu infiniment en même temps que son désir de Marita s’en est trouve exacerbé. De son côté la jeune femme a compris ce qu’éprouvait son mari. Elle y prend plaisir et s’ingénie à le provoquer constamment en se montrant tendre et soumise envers l’indigène.

En fait, Marita et Roberto se sont retrouvés grâce au Tahitien qui leur a révélé le profond attachement qu’ils éprouvent toujours l’un pour l’autre. C’est enrichis de cette expérience impure qu’ils quitteront Bora-Bora après avoir mis le feu à la paillotte de leurs amours coupables. Leur destin est en Europe, au milieu des gens de leur race. Le paradis polynésien n’a été pour eux qu’un enfer très provisoire mais nécessaire à leur rédemption.


BORA BORA ET LA CENSURE ITALIENNE

Le thème et les situations de « Bora-Bora » sont extrêmement osés ce qui vient de valoir au producteur Alfredo Bini et au réalisateur Ugo Liberatore les foudres de la justice italienne. Bien qu’ayant obtenu son visa de sortie le film a été mis sous séquestre pour « son contenu obscène et les nombreuses séquences de nus féminins offensant la pudeur au cours d’étreintes charnelles réitérées ». Le producteur et le metteur en scène font valoir pour leur défense que les « scènes érotiques sont indispensables pour l’illustration du thème traité ». De leur côté de nombreuses associations du monde du spectacle représentant les acteurs, les auteurs de films et des syndicats professionnels ont assuré Bini et Liberatore de leur entière solidarité. La justice italienne refusera-t-elle à « Bora-Bora » l’absolution accordée à « Théorème » de Pasolini ?


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Cinémonde N°1818 daté du13 janvier 70

Pour Jean-Louis Trintignant, amant douloureux de Haydée Politoff, la vie continue.

De Madrid, Javier Duran

Nadine et Jean-Louis Trintignant ne seront jamais plus comme avant : ils ont perdu, à Rome, une des grandes raisons de leur existence, de leur bonheur : leur dernière petite fille. Mais, fort heureusement, il leur reste la jeune Marie, sur laquelle ils reportent maintenant toute leur affection. De plus, ils sont jeunes encore, leur carrière commune est une réussite, Nadine s’impose, de plus en plus, comme réalisatrice, et Jean-Louis est depuis plusieurs années déjà le grand acteur qu’il rêvait d’être quand, adolescent, il « monta » de son Gard natal à Paris – avec un « assent » qui le préoccupait fort, – pour conquérir la capitale, tel un timide Rastignac. Quand leurs amis, en France, ont appris leur deuil récent, plusieurs se sont précipités vers eux, dont Marie-José Nat et Michel Drach, pour leur dire leur propre peine, leur affection vigilante.


C’est en Espagne que Trintignant, avant le drame, a tourné son dernier film, psychologiquement très poussé : « Las Buenas Intenciones » (Les bonnes intentions), production d’Elias Querejeta, promoteur du couple Géraldine ChaplinCarlos Saura. Le réalisateur est l’Espagnol Antonio Eceiza, et ses « copains » dans le film – car il s’agit d’une réalisation où l’amitié règne en maître, toute de « communication » de compréhension, – sont la Française Haydée Politoff, ainsi que Teresa del Rio et Julio Nunez.

Voici ce que m’a déclaré Eceiza à propos des « Bonnes intentions », – dont, comme chacun sait, l’Enfer est pavé :
L’obsession de la mort en est le thème central, de même que les passions exagérées, les grandes décisions à prendre, les risques à vivre vraiment, la folie : autant de possibilités ou de handicaps vitaux.. Michel, campé par Trintignant, les ressent à 42 ans. C’est un dessinateur d’objets brillants et aseptisés, qui ressemblent, en fait, à sa propre vie, intégrée à la société de consommation. Trintignant, de plus en plus, choisit des rôles qui signifient quelque chose par rapport aux réalités actuelles. Nous le verrons de moins en moins dans des personnages gratuits. Celui d’assassin extravagant qu’il incarnait, sous la direction de sa femme, dans « Le Voleur de Crime », évoquait un criminel français tristement célèbre, qui assassina un enfant.
– Ce Michel, que vous-même et Trintignant voulez rendre significatif par rapport à notre époque, est-il un homme marié ?
Il l’a été. Il a deux fils, une maîtresse, des amis, une position dorée. Et, comme conséquence de tout cela, il ne sent en lui qu’un désenchantement profond, qui alourdit ses jours, et s’insinue sournoisement entre toutes les circonstances de son existence, gagne tout ce qu’il touche ou tente…


– Quel est, auprès de ce « désenchanté » 1969, le rôle de Haydée Politoff, que les Parisiens voient en ce moment dans le « scandaleux » « Bora Bora » ?…
Comme Haydée entrait dans la pièce où nous nous trouvions, non loin du studio où l’on venait de projeter des rushes, Antonio Eceiza me fit signe de le lui demander à elle-même. Haydée, à qui le même « Bora Bora » a valu beaucoup d’ennuis en Italie et même une peine de prison avec sursis, ne s’en porte pas moins bien. Son personnage de Blanche, 22 ans, auprès de Trintignant, l’intéresse énormément. C’est une fille heureuse, fraîche, pleine de vie, – du moins apparemment. D’abord, Trintignant croit cela…
Et puis, dit-elle, alors qu’ils sont couchés et font l’amour, il s’aperçoit que Blanche a une cicatrice au poignet : l’une de ces cicatrices qui témoignent d’un acte rarement raisonnable : un suicide stoppé… par elle ou les médecins ? Michel-Trintignant est frappé, intrigué, remué par ce fait. Ses questions à Blanche deviennent une obsession, montrent combien croît son angoisse. En même temps, il sent comme une impossibilité désespérée d’avoir Blanche toute à lui. Son vertige s’exaspère d’autant qu’il devine qu’elle sera elle-même, comme tout ce qu’il touche, « détériorée » par son malaise, son étrange tourment.

– Nous rejoignons là le romantisme d’un Musset, d’un « Enfant du Siècle », en somme…
Peut-être, répond Haydée, passionnée par le couple que forment Michel et Blanche. En tout cas, il tentera de se soustraire au déséquilibre et à l’irrationalité que la mort, le pouvoir de la mort sur les vivants, portent en eux.


En bref, « Les Bonnes Intentions » montre comment la tragédie, excessive, irrationnelle, absurde, peut s’introduire dans les jours d’un homme organisé, arrivé à une vraie réussite matérielle. Le film indique qu’à la précision du cadre et du luxe ambiant, que certains chérissent, ne saurait automatiquement correspondre une nette décision morale, une précision intime. Un beau cadre désinfecté ne fait pas le bonheur ! Méfions-nous des excès du modernisme !


Jean-Louis Trintignant a de grands amis à Barcelone, depuis qu’il y a tourné « L’Affût », de Philippe Condroyer, avec Valérie Lagrange. De même qu’à Madrid, où s’achèvent « Les Bonnes Intentions ». Tous compatissent à sa douleur, et se souviennent de lui, désormais, avec plus de sympathie encore.

J.D.


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