Entretiens de Marcel Carné

1994 – Entretien avec Jean-Claude Lamy (Le Figaro)

 

Article de Jean-Claude Lamy paru dans Le Figaro le 19 juillet 1994

LES GRANDS SILENCIEUX

Le metteur en scène dont le nom est l’anagramme d’écran

Marcel Carné – le génie en jachère

Les producteurs ont envoyé au purgatoire le père des « Enfants du paradis ». A 85 ans, il a pourtant des projets dans ses cartons.

Dans la touffeur qui pèse sur ce Paris de la mi-juillet, Marcel Carné a du mal à supporter la vie quotidienne. « Combien coûte l’installation d’une climatisation ? » demande-t-il, alors qu’un ventilateur, posé sur un guéridon, aère le salon-bureau de l’appartement dont les hautes fenêtres ouvrent sur la place de Saint-Germain-des-Prés. La séance de photographie terminée, le cinéaste tombe la veste et défait ses bretelles. « Tiens, j’ai un peu grossi. »
Autrefois, sous les projecteurs des studios, strictement cravaté de gris, il ne semblait guère se préoccuper de la température des lieux. Si les techniciens transpiraient autour de lui, c’était souvent plus à cause du travail minutieux qu’exigeait Carné que de la chaleur ambiante. Toujours impeccable, le teint rose et frais, ce petit bonhomme, vite considéré comme un grand monsieur, avait de l’allure et une autorité ne souffrant guère la contestation.

Aujourd’hui, il se défend d’avoir été quelque peu tyrannique avec son entourage et parle de médisance lorsqu’on évoque certaines anecdotes. Hormis cet accessoiriste qu’il engueula copieusement, d’après lui personne n’aurait eu à se plaindre vraiment de sa façon de diriger une équipe. Évidemment, il était imprudent de lui tenir tête, y compris le producteur parfois trop envahissant. Les affaires sont les affaires, mais quand le metteur en scène crie « Moteur », il est désormais le patron sur le plateau.

Dans le cas de Marcel Carné, capable d’« éclats » cinématographiques, il fallait se tenir à carreau. Que peut-on reprocher à un fou de cinéma qui est l’auteur, successivement, de Drôle de drame (1937), Le Quai des Brumes (1938), Hôtel du Nord (1938), Le jour se lève (1939), Les Visiteurs du soir (1942), Les Enfants du paradis (1943-1945), Les Portes de la nuit (1946) ? Il faudrait également citer Juliette ou la Clé des songes (1950-1951), Thérèse Raquin (1953), Les Tricheurs (1958), Terrain vague (1960) et son premier long métrage Jenny (1936), qui fut aussi sa première collaboration avec Jacques Prévert.

Cette série comporte plusieurs chefs-d’oeuvre et le classique des classiques, en l’occurrence Les Enfants du paradis, célébré l’année prochaine à l’occasion de son demi-siècle (on fêtera également les cent ans du cinématographe des frères Lumière).
Une contribution aussi exceptionnelle au septième art devrait combler le metteur en scène. En effet, qui dit mieux lorsqu’il s’agit de dresser une filmographie ? Pourtant Marcel Carné, éternel insatisfait, ne donne pas l’impression d’être entré de son vivant au Panthéon, même si les dictionnaires lui consacrent des notices en n’étant pas toujours d’accord sur sa date de naissance. Le Petit Larousse indique 1906 et le Petit Robert 1909. A l’approche de son anniversaire, le 18 août, cela le fait sourire, un peu de mystère et une lueur d’ironie dans le regard.

« Je me sens jeune. En dehors des forces physiques qui diminuent un peu, je n’éprouve aucune fatigue intellectuelle. Ça continue à bien bouillir là-dedans. » La tête ronde, les cheveux rares plaqués et teints, il ne veut pas exprimer le fond de sa pensée comme si une pudeur l’en empêchait. Quand par exemple, il laisse tomber : « Je n’attends rien des Français », c’est aussitôt pour nuancer son propos. Le public a beau avoir l’esprit versatile, au fil du temps ses films ont été plébiscités. Et n’oublions pas que la première exclusivité parisienne des Enfants du paradis a duré cinquante-quatre semaines et que Les Tricheurs furent le plus grand succès de 1a saison, dès leur sortie en France.

Un musée à Boston

Quant à la reconnaissance officielle, elle ne lui manqua pas non plus puisqu’il a été élu à l’Académie des Beaux-Arts et fut primé plusieurs fois, notamment à Tokyo où il reçut en 1986 une sorte de Nobel du cinéma, alors qu’à Boston un musée lui est personnellement consacré. Bref, on ne cesse de rendre hommage à ce cinéaste de légende (une exposition au musée de Montmartre attira près de dix mille visiteurs et la chaîne Arte a prévu une soirée en octobre), ce qui n’est pas pour lui déplaire.

N’empêche, le bonheur de Marcel Carné est lié viscéralement à un métier qu’il n’exerce pratiquement pas depuis La Merveilleuse Visite (1974), couronnée à Hollywood par le grand prix du film fantastique. Les producteurs mirent à la retraite forcée ce metteur en scène de génie qui ne renoncera jamais à tourner, même s’il ne vit plus que dans ses rêves les débuts d’un grand amour. Car, pour lui, commencer un film c’est s’engager dans une histoire passionnelle. La dernière s’est interrompue brusquement en 1993, avec le projet avorté de Mouche, d’après Guy de Maupassant. Pour cette « étude de mœurs souriante », qui lui rappelait l’atmosphère impressionniste de son court métrage de jeunesse Nogent, Eldorado du dimanche, il avait flairé une inconnue, Virginie Ledoyen, que le réalisateur Olivier Assayas vient de faire jouer en vedette dans L’Eau froide. Comme quoi Marcel Carné, le découvreur de Michèle Morgan dans Le Quai des Brumes, et grâce à qui Arletty « creva » l’écran dans Hôtel du Nord, n’a rien perdu de son instinct de dénicheur de talent lorsqu’il est à la recherche d’une nouvelle actrice.

« Mon seul regret c’est de n’avoir pas choisi Leslie Caron pour Juliette ou la Clé des songes. Après un essai, comme j’hésitais à l’engager, deux « couillons » de mon équipe m’ont dit « Ne prenez pas celte fille telle est laide » Un peu plus tard Gene Kelly l’a embarquée pour tourner Un Américain à Paris de Vincente Minnelli. On devrait toujours faire un deuxième essai. Intuitivement, je la voyais dans le rôle, mais j’ai commencé à gamberger. C’était un raisonnement idiot… Leslie aurait été formidable aux côtés de Gérard Philipe. Avec Suzanne Cloutier, en Juliette, ce fut beaucoup moins bien ! »

Roland Lesaffre, l’acteur fétiche de Marcel Carné (il est l’interprète de treize de ses films), était de la distribution de Juliette ou la Clé des songes et, par fidélité, il participa à l’aventure avortée de Mouche. « Carné c’est le plus grand », dit-il avant de le définir ainsi : « Il peut être « ronchon », « grognon », c’est à la fois le Diable et le Bon Dieu. Suivant les circonstances, on s’adresse à l’un ou à l’autre. L’oeil sur tout, il sait vous donner une présence et l’on s’enrichit de sa générosité. C’est pour ça qu’il a la douceur déchirante de ceux qui ne possèdent rien que du talent à vous offrir en partage. »
L’idée que Marcel Carné soit réduit au silence, faute de capitaux nécessaires à la reprise d’un tournage, le fait sortir de ses gonds : « Par ses chefs d’oeuvre il a fait flotter nos cou­leurs dans le monde entier et maintenant on le laisse crever. »

D’évidence, malgré son âge (bientôt 85 ou 88 ans ? le suspense l’amuse autant que nous), il serait prêt à revenir sur un plateau, le seul endroit où il ne tournera pas en rond ! Dans ses tiroirs, il a un film « clé en main », adapté d’un roman de Henri-François Rey Les Chevaux masqués. Verra-t-il le jour ? « Qu’on me laisse du temps. Je ne peux pas réussir un bon film en cinq semaines. » Par manque d’appuis financiers, ses mises en scène de Germinal et La Reine Margot restèrent à l’état de projets (d’autres en ont fait leurs choux gras). Il est à craindre qu’un producteur n’ose, encore une fois, relever le défi. Alors imaginons que l’État s’en mêle et fasse comme André Malraux, qui lui avait accordé une subvention pour Les Jeunes Loups (1967/1968), peut-être parviendrait-il à ses fins.

Ne mériterait-il pas un ultime coup de chapeau ? Lui qui n’attend pas grand-chose, sauf cette possibilité d’ajouter quelques belles images à son œuvre cinématographique. « Quand on dit que j’ai manqué d’ambition pour mes derniers films, cela me fait rager. Qui connaît Terrain vague que j’ai réalisé en 1960 à la suite des Tricheurs ? Si la critique trouva que c’était « raté mais pas indigne », à cause d’un scénario insuffisant, ce film devait cependant me valoir les compliments imprévus de François Truffaut qui m’avait tant de fois éreinté dans ses articles, écrivant que je « mettais en images » les scénarios et les dialogues de Prévert. ».

Au fur et à mesure que la conversation s’anime et que surgissent les souvenirs d’une époque qu’il faut bien considérer comme l’âge d’or du cinéma français, Marcel Carné se métamorphose. Il semble maintenant ignorer la fatigue occasionnée par la chaleur et emporté par sa propre histoire que Christian-Jaque, disparu récemment, avait filmé (Carné, l’homme à la caméra). On assiste à un étonnant numéro, du style Marcel Carné fait son ci­néma.
« Dans ma vie, il y a eu deux ou trois miracles. Le premier c’est Françoise Rosay. Je l’ai rencontrée chez des amis communs. C’était une comédienne renommée et surtout la femme de Jacques Feyder, que je considérais comme le plus grand metteur en scène français. Mes hôtes me présentèrent : « Marcel Carné, qui veut faire du cinéma… » « Ah oui ! répondit-elle sans faire particulièrement attention à moi. Mais pendant tout le repas je lui ai fait part de mon désir d’en savoir plus sur l’activité d’un studio. En quittant la table j’étais aux anges : Françoise Rosay acceptait de me ménager un entretien avec son mari. »

A l’école de Feyder

Feyder, un gentleman d’aspect assez réfrigérant, lui accorde un quart d’heure. C’est décourageant pour le jeune homme de 19 ans qui s’attendait à un meilleur accueil. Françoise Rosay essaie de le consoler : « S’il vous a reçu un quart d’heure c’est que vous lui avez plu ! » Effectivement, quelques semaines plus tard Jacques Feyder lui propose un poste d’aide-opérateur pour Les Nouveaux Messieurs, qu’il entreprend d’après la pièce de de Flers et de Croisset. Marcel Carné a le pied à l’étrier.

Son père, artisan ébéniste dans le quartier des Batignolles, aurait sans doute préféré qu’il tentât l’admission à l’École Boulle. Mais pour l’apprenti cinéaste, être admis dans l’entourage de Feyder était autrement plus excitant. En devenant son assistant, notamment pour Le Grand Jeu et La Kermesse héroïque, il apprend à aimer les acteurs, à tirer d’eux le maximum d’humanité. C’est une formidable leçon d’amour du comédien qui apparaîtra dans chacun de ses films.

Un autre cinéaste d’envergure est à l’origine de sa technique élégante et de ce langage poétique dans le réalisme : René Clair, dont il sera l’assistant lors du tournage de Sous les toits de Paris, en 1930. Dans un article de Ciné-Magazine il lui exprime son admiration : « Le Paris de René Clair, si vrai, si juste, émouvant et sensible, est en réalité un Paris de bois et de stuc reconstruit à Épinay. Mais, si grand est le talent de René Clair, si subtils ses dons d’observation, qu’il arrive à nous donner, dans un milieu faux, à l’aide de personnages miraculeusement saisis sur le vif, une interprétation de la vie plus vraie que la vie elle-même (…). Populisme, direz-vous. Et après? Le mot, pas plus que la chose, ne nous effraie. Décrire la vie simple des petites gens, rendre l’atmosphère d’humanité laborieuse qu’est la leur, cela ne vaut-il pas mieux que de reconstituer l’ambiance trouble et surchauffée des dancings de la noblesse irréelle, des boites de nuit, dont le cinéma, jusqu’alors, a fait si abondamment son profit ? »
Ces lignes, parues en novembre 1933, sont prémonitoires. L’univers de Marcel Carné s’y inscrit déjà, alors que Jenny, avec Françoise Rosay venue apporter sa caution au débutant, sera tourné dans trois ans. Entre-temps le metteur en scène a fait la connaissance de Jacques Prévert, le futur auteur de Paroles qui trempe dans le milieu surréaliste et participe aux « exploits » du groupe Octobre.
C’est le deuxième miracle.
Entre le petit homme, un côté « môme de Paname » qui cache son âge, de peur qu’on le trouve trop jeune, et ce dandy un peu voyou, l’air conquérant, léger, insolent, l’entente d’abord cordiale se transformera rapidement en une complicité amicale parfaite. Premier point commun : l’humour à tous crins.

Marcel Carné réalise parfois de courtes bandes publicitaires. L’une d’elles, intitulée Une élection à l’Académie, faillit provoquer un scandale. On y voyait un vieil académicien barbu s’enfuir à toutes jambes de l’Institut, les pans de son habit flottant au vent, poursuivi par un huissier affolé et criant : « Maître, maître, on vous attend !… » « On m’avait promis un fauteuil à l’Académie, mais je croyais que c’était un fauteuil Levitan !… » De quoi plonger Jacques Prévert dans l’émerveillement qui lui faisait jouer une pièce éminemment farfelue : La Bataille de Fontenoy.
Quand il entre par curiosité dans la Maison des syndicats, avenue Mathurin-Moreau, où la bande du groupe Octobre a monté ce spectacle anarchiste et baroque, Marcel Carné entend cette réplique : « Soldats tombés à Fontenoy, vous n’êtes pas tombés dans l’oreille d’un sourd ! » En effet, la réplique tombait à pic, car Carné avait besoin d’un auteur plein de fantaisie pour mettre de la couleur dans un mélodrame sans saveur intitulé Prison de velours. Rendez-vous est pris pour amorcer une collaboration qui durera plus de dix ans et fera naître un certain cinéma français au ton inimitable.

« Je n’avais pas parlé du sujet ni, à plus forte raison, mentionné le titre, raconte Marcel Carné. Cependant il ne prononça pas un mot et commença à lire. Cela fut si rapide que je me demandais s’il était intéressé. Par la suite je me suis rendu compte qu’il parcourait un texte à une vitesse folle. Il reposa le script et, souriant, constata : « Avec ça, on n’est pas foutus ! » « Je sais. Et alors ? » « Et alors, on va essayer de se démerder !»

Ils changèrent d’abord Prison de velours en Jenny, du nom du personnage principal, interprété par Françoise Rosay. Ce n’était pas une trouvaille géniale, mais il faut bien commencer par le commencement ! En tout cas le tandem Carné-Prévert venait de se former et aller faire grincer bien des dents dans le monde du cinéma. Renoir, qui avait travaillé avec Prévert pour Le Crime de M. Lange, osera qualifier Le Quai des Brumes de film « fasciste » et la critique réticente avec Drôle de drame tombera à bras raccourcis sur Les Portes de la nuit, sans même remarquer les deux chansons du film Les enfants qui s’aiment et Les Feuilles mortes.

« Jacques Prévert s’est senti humilié par les attaques, dit Marcel Carné. Quoi qu’il en soit nous avons fait front et personne n’est parvenu à nous brouiller. C’est lui qui m’a appris à être grossier. Si j’emploie certains mots vulgaires, c’est à cause de Jacques. Mais sur un plateau, où il ne venait que très rarement, ce qui était assez vexant, j’ai toujours haussé le ton sans avoir besoin d’être trop désagréable. Il suffisait que je dise « Dès que  « Monsieur X… sera disposé, nous pourrons commencer à répéter. » Je ne vois pas là de quoi me qualifier de coléreux ! »

Pensez à l’accessoiriste Monsieur Carné… S’il est encore sur cette terre, lui n’a certainement pas oublié la comparaison pas très flatteuse que vous lui avez infligée. Mais quand on travaille avec Carné, un « boulot » c’est un « boulot ». On ne badine pas avec l’amour du cinéma. Surtout lorsque votre nom est l’anagramme d’« écran ».

J. C. L.

Son film préféré ? « Les Enfants du paradis »

Si l’on demande à Marcel Carné quel est son film préféré, parmi les vingt-trois qu’il a réalisé, sa réponse ne surprendra pas : c’est évidemment Les Enfants du paradis. Ce chef d’oeuvre absolu, avec à son générique des acteurs de rêve tels que Arletty (Garance), Jean-Louis Barrault (Baptise Debureau), Pierre Brasseur (Frédérick Lemaitre), Marcel Herrand (Lacenaire), vient de recevoir un nouvel hommage du Japon. La critique niponne le considère comme le meilleur film de tous les temps.

Jamais la collaboration entre Carné et Prévert, auteur du scénario et des dialogues, n’avait atteint ce sommet artistique. Mais il faut aussi ajouter les merveilleux décors d’Alexandre Trauner et la musique de Joseph Kosma associé à Maurice Thiriet. A chacun sa part de réussite.

A ce sujet Nino Frank s’était interrogé : « Que vaut donc, exactement, la fonction du scénariste ? » Dans son livre Petit cinéma sentimental, préfacé par Henri Jeanson le dialoguise de Hôtel du Nord, il faisait ce commentaire : « On m’avait confié le découpage des « Enfants du paradis », que l’on était en train de tourner. J’y avais puisé de nouvelle raisons d’admirer Jacques Prévert : c’est, sans le moindre doute, son meilleur scénario. Aussi, le film sorti, fis-je le plus vif éloge du scénariste, aux dépens du réalisateur. Cela me valut, au Flore, une algarade amicale de l’irascible Carné. Jacques Prevert était présent. Il confirma : « Marcel a raison. C’est lui l’auteur, pas moi ». J’étais ahuri (…) »

Aujourd’hui Marcel Carné souhaite que Les Enfants du paradis soient coloriés (ou « colorisés ») pour toucher le public de la télévision à une heure de grande écoute. « Le film en noir et blanc subsisterait dans son intégralité. Le négatif ne subirait nulle altération, puisqu’on effectuerait le travail de coloriage exclusivement sur une copie tirée à cet effet » explique-t-il quand on s’insurge sur ce procédé qui compte de nombreux opposants. En particulier Eugénie, la petite-fille de Jacques Prévert, et les membres de l’association regroupant les amis du poète qu’elle préside.

Le débat sera d’actualité l’année prochaine, au moment des manifestations prévues pour le 50° anniversaire des Enfants du paradis, tourné à Nice et à Paris pendant la guerre.

La carte postale tardive de Truffaut

Pour les représentants de la nouvelle vague, et particulièrement François Truffaut, Marcel Carné avait fait son temps et ne méritait guère qu’on s’intéresse à son oeuvre. En revanche, les films de Jean Renoir étaient portés aux nues par le critique intransigeant des Cahiers du cinéma et de Arts, réalisateur des Quatre Cents Coups, sortis un an après Les Tricheurs. Il sut pourtant réviser son jugement, comme en témoigne une carte postale adressée à Carné, depuis Carcassonne. Elle est datée du 4 décembre 1960. En voici le texte intégral :
« Cher Monsieur, je suis allé voir hier soir, ici, Terrain vague. La salle était pleine et annonçait « exceptionnellement continuation de Terrain vague la semaine prochaine. Le public était attentif, de plus en plus intéressé et enfin réellement ému. Je vous écris cela car j’ai réagi exactement comme le public ; il y a dans ce film des pointes de vérité très aiguës et des moments irréels très purs. J’ai lu des articles très injustes. J’espère vous faire plaisir avec cette carte comme vous m’avez fait plaisir avec ce film. Je n’ai jamais fait partie d’une bande et pourtant j’ai respiré dans Terrain vague des bouffées de ma propre adolescence. Merci. Admirativement votre François Truffaut. »

Bien des années après, en avril 1984, François Truffaut et Marcel Carné se retrouvaient à Romilly-sur-seine, où l’on inaugurait deux salles de cinéma baptisées de leurs noms. Au moment des allocutions Truffaut dit qu’on avait eu raison de réserver à Carné la grande salle, « avec un balcon ». Il ajouta : « J’ai fait vingt-trois films (exactement le même nombre que Carné), des bons et des moins bons. Eh bien, je les donnerais tous sans exception pour avoir signé Les Enfants du paradis ». Quelques mois plus tard disparaissait François Truffaut, définitivement réconcilié avec son ancienne tête de Turc.

J. C. L.

 

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