La Bande à Prévert par Denise Bellon à St Germain des Près

Depuis le 01 août 2010 et jusqu’au 18 octobre 2010, les voyageurs de la ligne 4 du Métro Parisien peuvent voir gratuitement l’exposition « Regards d’Artistes – Portraits d’artistes des années 1930 à 1950« .

En effet à la station de Métro Saint-Germain-des-Prés, de chaque côté de la rame, sont exposées dans 36 vitrines une sélection rare de photographies de Denise Bellon qu’elle a « réalisées dans le Paris intellectuel et artistique d’avant et après-guerre. Les regards de Dali et Prévert croisent ceux de Miro, Giono, Miller, Breton, Beauvoir, Bousquet et beaucoup d’autres, à travers l’oeil et la sensibilité de la photographe. »

(c) Olivier Dougoud et les Arts Associes

C’est l’occasion de redécouvrir ou simplement découvrir ces photographies de Denise Bellon dont certaines avaient été regroupées dans le très bel ouvrage édité aux Editions de La Martinière en 2004 par Eric Le Roy.

En effet, en parallèle de son travail aux Archives Françaises du Film, Eric Le Roy s’occupe du Fonds Photographique Denise Bellon.


Cette photographe indépendante et autodidacte a croisé plusieurs fois la route de Jacques Prévert.

Sans doute l’a-t-elle déjà rencontré lorsqu’elle débuta au début des années 30 au Studio Zuber qui se trouvait dans les locaux de l’Agence de Publicité Damour.

Dirigé par Etienne Damour, c’était l’une des toutes premières du genre. On y créait entre autres de petits films publicitaires avec des bouts de ficelles ce qui a permis à leurs auteurs de se faire la main en faisant preuve d’ingéniosité et d’humour. On y trouvait le futur scénariste de La Traversée de Paris (le film de Claude Autant-Lara) Jean Aurenche, le dramaturge Jean Anouilh (Le Voyageur sans Bagage), le réalisateur Yves Allégret (Dédée d’Anvers), le réalisateur de films d’animations Paul Grimault (Le Roi et l’Oiseau) ainsi que… Marcel Carné et Jacques Prévert.

Ce cliché montre Marcel Carné et Jacques Prévert au début de l’année 1945 alors que Les Enfants du Paradis n’était pas encore sorti.

C’est au studio Zuber que Denise Bellon apprendra le métier de photographe sur le tas. Et en 1934, elle rejoint l’Alliance Photo, l’une des premières agences photographiques, au côté (entre autres) de René Zuber, Pierre Boucher et Maria Eisner.

Cette agence a pris la « forme d’une coopérative au sein de laquelle les photographes sont indépendants.» Et leurs photographies seront publiées dans les grands magazines de l’époque : Vu et Regards notamment.

Jacques Prévert et Roger Blin dans les studios de la Radio Française (1945)

Le lien entre Denise Bellon et Jacques Prévert a également pu se faire par l’intermédiaire de Jacques-Bernard Brunius.

En effet, celui-ci était marié à Colette Hulman, la propre soeur de Denise Bellon. Denise habitait avec ses deux enfants, Yannick et Loleh, au dessus de l’appartement de Brunius, quai de l’Horloge à Paris dans les années 30.

Brunius était le fondateur avec Jean-Georges Auriol de la fameuse Revue du Cinéma en 1929 dans laquelle nous retrouvions également Roger Blin, qui devint le metteur en scène de théâtre que l’on connaît, on le retrouve au cinéma dans deux des films de Marcel Carné : Jenny et Les Visiteurs du Soir.

Et bien sûr Jacques-B Brunius fit partie avec Roger Blin du fameux Groupe Octobre au côté de Jacques Prévert. Il avait rencontré Prévert dès 1929.

Jacques Prévert et Paul Grimault en 1945, studio des Gémeaux.

Les Gémeaux était un studio d’animation français créé en 1936 par Paul Grimault et le producteur André Sarrut.

Denise Bellon lorsqu’elle photographie Prévert et Grimault cette année-là ne se doute sûrement pas que l’oeuvre sur laquelle les deux amis travaillent va connaître une destinée sombre. En effet, La Bergère et le Ramoneur est l’un des grands drames de l’animation française. Pour diverses raisons, ils furent renvoyés du projet par André Sarrut qui sortit une version du film en 1952 sans leur accord. Ce qui scella également la fin de l’amitié entre Prévert et Joseph Kosma qui lui avait accepté de rester auprès de Sarrut.

Grimault put racheter les droits du film en 1966 et enfin sortir sa version du film en 1980 sous le titre fameux du Roi et l’Oiseau.

Malheureusement Prévert était mort trois ans auparavant…

Roger Blin, Joseph Kosma, Robert Scipion, Jacques Prévert, Fabien Loris, Roger Pigaut, Henri Vermeil (metteur en ondes).  Studios de la Radio Française. Paris, 1945

Cette photographie de Denise Bellon est passionnante car elle a capturé une partie de la bande à Prévert à la fin de la guerre : les anciens du Groupe Octobre (Roger Blin et Fabien Loris qui venait de jouer dans Les Enfants du paradis) mais aussi Joseph Kosma qui allait composer la même année son chef d’oeuvre « Les feuilles Mortes » pour le film Les Portes de la Nuit de Marcel Carné. On y retrouve un habitué du Café de Flore (repaire de la Bande à Prévert) Roger Pigaut qui venait de tourner grâce à Prévert dans le beau film de Christian-Jaque Sortilèges.

A leurs cotés se trouve Henri Vermeil qui fut le metteur en ondes de la radio française à l’époque. On lui doit l’enregistrement de la pièce de Paul Claudel Le Soulier de Satin en avril 1942 avec Jean-Louis Barrault récemment mis à disposition sur le site de l’INA.

Ils sont tous regroupés autour de Robert Scipion pour lire la pièce l’Ecole Buissonnière sur des textes et chansons de Prévert.

Rappelons que Robert Scipion était proche du Groupe Octobre et que deux ans auparavant il avait été assistant de Pierre Prévert sur le film de ce dernier Adieu Léonard.

L’Ecole Buissonnière était une série d’émissions qui fut diffusée durant le mois de Janvier et Février 1945. Robert Scipion était le réalisateur d’émissions pour la radio française basées autour de la poésie. Yves Courrière dans sa biographie sur Prévert (Gallimard, 2000) rappelle que cette émission eut un succès considérable et qu’elle fit beaucoup pour la notoriété des chansons de Prévert et Kosma.

Kosma dans la foulée montera un spectacle intitulé L’Ecole Buissonnière à la salle Chopin-Pleyel et l’on refusera du monde à leurs grandes stupéfactions !

Joseph Kosma et Fabien Loris dans les studios de la Radio Française (1945)

Jacques Prévert et Fabien Loris dans les studios de la Radio Française (1945)

Suite de cette série de photographies de Denise Bellon autour de cette émission radiophonique L’Ecole Buissonnière avec ce beau témoignage de l’amitié qui unissait Jacques Prévert et Fabien Loris.

Ils se seraient rencontrés en 1933 sur le plateau du film Ciboulette de Claude Autant-Lara que Prévert avait adapté. Puis Loris avait participé à l’épopée du Groupe Octobre, et avait été le premier mari de la dernière femme de Jacques Prévert, Janine Tricotet.

On retrouve Fabien Loris dans trois films de Marcel Carné. Il est figurant dans Drôle de Drame (un policier en civil) en 1937, puis joue le rôle de sa vie dans Les Enfants du Paradis où il est Avril, l’ami de Lacenaire, enfin il est le chanteur des rues dans Les Portes de la Nuit, c’est lui qui chante « Les Enfants qui s’aiment » la belle chanson de Prévert et Kosma.

Sylvia Bataille, Jacques Prévert et Fabien Loris devant les Deux Magots. Paris, 1945

Cette photographie nous donne l’occasion d’évoquer Sylvia Bataille.

En effet, Denise Bellon est devenue très tôt l’amie intime des soeurs Maklès, Bianca, Simone, Rose (qui épousa le peintre André Masson) et surtout Sylvia. Elle l’a photographiée à plusieurs reprises et l’on pense à cette belle photographie de Sylvia Bataille en 1934 à Bourg d’oisans que l’on retrouve dans le livre d’Eric Leroy cité au début de ce post (2004).

Sylvia Bataille s’était mariée avec l’écrivain Georges Bataille dont elle avait gardé le nom puis avec le psychanalyste Jacques Lacan.

Elle eut une courte carrière au cinéma mais restera pour toujours la jolie Henriette Dufour du film Partie de Campagne de Jean Renoir en 1936. La même année elle joua aussi dans Jenny de Marcel Carné et également en 1947 dans Les Portes de la Nuit.


Serge Reggiani. Paris 1945.

Serge Reggiani a 23 ans. Il vient de jouer dans le film François Villon d’André Zwoboda. L’année d’après il jouera dans Les Portes de la Nuit de Marcel Carné.

Cette photographie a été prise dans sa loge des Studio Radio Cinéma (Gaumont), rue Carducci à Paris dans le 19° arrondissement.

Jean-Louis Barrault sur son balcon. Paris, 1944.

Cette photographie de Jean-Louis Barrault a été prise par Denise Bellon l’année où il joua Baptiste dans Les Enfants du Paradis.

Yves Tanguy dans son atelier parisien, 1938

Et nous terminons cette sélection de photographies de Denise Bellon par cette photographie d’un autre grand ami de Prévert : le peintre surréaliste Yves Tanguy.

Ils s’étaient rencontrés en mars 1920 lors de leur service militaire au 37° R.I de Lunéville et se sont rendu compte qu’ils habitaient à deux pas l’un de l’autre dans le 6° arrondissement…

Horaires :

Tous les jours de 05h30 à 01h15, les samedi et veilles de fêtes jusqu’à 02h15

Conseil :

Cette exposition est accessible gratuitement pour tous les voyageurs munis d’un titre de transport valide utilisant la ligne 4 du Métro (Porte d’Orléans/Porte de Clignancourt).

Malheureusement, il n’est pas possible de passer d’un quai à l’autre pour voir cette exposition complètement. En effet, sur cette station le compostage des billets se fait au début du quai (en direction de la Porte de Clignancourt) rendant nécessaire l’achat d’un autre ticket (pour les voyageurs n’ayant pas de Pass Navigo). La seule solution dans ce cas là est de reprendre le métro et de changer aux stations Saint-Sulpice ou Odéon.

La série de photographies autour de la Bande à Prévert se trouve sur le quai en direction de la Porte de Clignancourt.

(c) Olivier Dougoud et les Arts Associes

Cette exposition est proposée par Les Arts Associés (Olivier Dougoud), en association avec le Fonds photographique Denise Bellon, et en partenariat avec les laboratoires DUPON, ARTE Actions Culturelles, l’Institut d’Etudes Supérieures des Arts (IESA) et la RATP.

Liens :

le site officiel de Denise Bellon

le site des Arts Associés qui co-organise cette exposition.

la page Facebook.

le blog What’s up avec plusieurs photographies de l’exposition.

l’article de Dominique Hasselmann (Remue.net) à propos de l’exposition dans la galerie parisienne Vero-Dodat en 2003


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